Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (Do Androids dream of electric sheep?) / Blade Runner
Philip K. Dick
A lire en écoutant ce thème.
En avril dernier, je lisais Le Maître du Haut Château, enfin décidé à m’attaquer à la bibliographie du monstre dickien par la sortie de l’épisode pilote de la série télé éponyme, produite par Amazon, série qui s’est révélée plus qu’excellente.
Ensuite, les mois défilant plus vite que les heures, on s’est retrouvés proches de la fin d’année et, malgré toute ma bonne volonté, le temps – et surtout les opportunités – m’a manqué pour lire d’avantage de Philip K. Dick. Et puis, le Lemming Affranchi m’a approché – oui, ce sont des choses qu’on fait entre nous, on s’approche – pour me proposer de venir dans son cinoche pour assister à la rediffusion du génialissime film Blade Runner de Ridley Scott, dans un remaster de sa adirector’s cut. Tout de suite, en tête, me sont venues des images glorieuses : j’adore ce film, si je prenais du temps pour me pencher sur le roman ?
Ce que je fis. Très vite rejoint par le camarade Colson – rappelez-vous son édito en deux parties : Un avenir qui nous échappe et Un avenir retrouvé ! -, nous décidâmes alors d’intervenir après la projection – le 22 janvier dernier, vidéo à venir, comme nous l’avions fait pour Exodus: gods & kings du même Ridley Scott – pour proposer une petite relecture de la portée du film dans l’imaginaire collectif (ça, c’est Raphaël) et de la filiation dans l’adaptation (ça, c’est plus moi) ! Et paf, ça nous a fait des chocapics.
Cet article n’est pas une répétition de ladite conférence, mais disons que les deux sont liés.
Les auteurs rêvent-ils d’une collection unifiée ?
Oui. En tout cas si l’on en croit Richard Comballot dans sa préface à Philip K Dick – Simulacres et illusions, monographie consacrée à l’auteur et parue récemment aux éditions Actu SF. Et c’est le travail que font en ce moment les éditions J’ai Lu. En effet, celles-ci ont récemment restructuré leurs collections et, au lieu de créer des filiales et des labels différents comme certains ont pu le faire – on pense notamment au Livre de Poche avec Le Livre de Poche Imaginaire, dans lequel on trouve notamment la version poche de Jonathan Strange & Mr. Norrell -, et donc d’amoindrir la force et l’efficacité de la pénétration des littératures de l’imaginaire dans la littérature dite blanche, les éditions J’ai Lu ont fait le choix de garder sous un même label toutes leurs littératures, du policier à la fantasy, en passant par la science-fiction et le fantastique, chacune ayant sa collection.
Cette restructuration des collections chez J’ai Lu participe actuellement d’un renouveau global au niveau du livre de poche dans l’édition française. Nous avons en effet récemment pu observer que les fers de lance des éditions poche de science-fiction au cours des dix à vingt dernières années, à savoir les très gris Folio Sf – collection qui dispose de sa propre page wikipedia, ce qui, pour un éditeur de poche spécialisé dans les littératures de l’imaginaire, est une chose assez rare pour être notée ; d’autant plus que Le Livre de Poche Imaginaire n’est même pas mentionné sur la page wikipedia du Livre de Poche… c’est dire l’impact de cette collection -, devant le phénomène de mode que produisent les adaptations cinématographiques ou télévisuelles des littératures de l’imaginaire – et de la culture geek en général, notamment au travers des comicbooks -, a choisi d’opter pour une restylisation de leur skin : adieu le vieux gris métallique qui faisait l’identité Folio SF et bonjour un blanc plus passe-partout et plus à même de finir en tête de rayon chez Decitre, Grangier, Fnac ou Cultura et donc de pénétrer un public plus large (à noter que 1984 de George Orwell était publié en blanc chez Folio, et non en gris, ou comment le statut de classique rend une sous-littérature acceptable).
De leur côté, les éditions J’ai Lu qui, dans les années 1970 et 1980, étaient reconnaissables par leur format poche aux pages rouges, avaient peu à peu intégré, pour la fantasy comme pour la science-fiction la couleur grise comme référentiel des littératures de l’imaginaire (de même que Le Livre de Poche). Avec cette restructuration dans la première moitié des années 2010, J’ai Lu suit la tendance et propose des ouvrages eux aussi blancs et re-stylisés. Fini alors le plaisir coupable que je pouvais prendre à fouiner dans des rayons poches intégralement grisés et à reconnaître là un marqueur culturel tangible d’une réalité intellectuelle peu reconnue pendant des années. J’appartenais à ces types et ces femmes qui venaient se retrouver sur les quais du Rhône pour acheter des éditions vieilles de trente ans de leurs classiques introuvables, j’étais de ceux qui passaient leur après-midi dans les rayons d’une librairie pour trouver le numéro 73 de chez Folio SF pour en faire une fiche de lecture pour ma professeur de français de troisième A au collège du Vieux Fresnes – MERCI, madame Barbier, pour m’avoir fait découvrir Orwell, Wells, Buzzati et London, merci !
Cela sigifie-t-il que ce temps est fini ? Je ne pense pas. Des boutiques comme Trollune ou Ciel Rouge en sont la preuve vivante. Mais ce qui est sûr c’est que les littératures de l’imaginaire s’ouvrent. Et est-ce mal ? Je ne pense pas. Changement il y a, et je ne peux que me réjouir si un jour mes enfants ne se font pas déchirer leurs bouquins dans une cours de récrée parce qu’ils auront choisi de lire un poche à la couverture grise.
Mais bref, revenons à nos moutons – électriques – lol. Si je vous parle de cette restructuration, c’est parce que les éditions J’ai Lu ont lancé un grand travail quant aux œuvres de Philip K. Dick : une republication généralisée, uniformisée, selon la volonté de l’auteur et de ses ayants-droits, avec pour ses œuvres principales une nouvelle traduction et, intéressant et rare pour un poche, des postfaces approfondies. C’était le cas pour Le Maître du Haut Château – traduction de Michelle Charrier (prix Jacques Chambon de la traduction en 2009) et postface de Laurent Queyssi, à laquelle s’ajoutaient deux chapitres inédits d’une suite jamais terminée -, c’est à nouveau le cas ici : la traduction est signée Sébastien Guillot et la postface Etienne Barillier. Pour cet ouvrage écrit en 1966, publié en 1968 outre-Atlantique et traduit en 1976 en France, c’est un sacré défi.
Quel intérêt pour une nouvelle traduction, me direz-vous, habiles lecteurs, autre que celui de pouvoir s’offrir une publicité autour d’un coup de jeune dans ses collections ?

Les Robots, d’Alain Dettinger, 1978, illustrant la station de métro Hôtel de Ville – Louis Pradel, à Lyon.
Regarder et comprendre
Eh bien, peut-être peut-on se dire que l’important derrière tout ça c’est la démarche de traduction : pourquoi re-traduire une oeuvre qui s’est vendue et comprise depuis des décennies, et ce plutôt bien ? Peut-être parce que cette oeuvre, en l’occurrence Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, est signée de la main même de celui que beaucoup appellent : « le maître des illusions« . Comment, au moment de sa traduction initiale, avons nous pu estimer avoir saisi l’intégralité d’un propos qui traitait bien trop de l’époque en cours pour que l’on puisse avoir le moindre détachement vis-à-vis de lui ? Comment avons-nous pu nous convaincre que nous avions compris Philip K. Dick, suffisamment en tout cas pour fournir des traductions définitives ? Peut-être parce que nous n’avions pas le choix de faire autrement.
Mais aujourd’hui, 34 ans après sa mort, nous pouvons faire autrement. N’ayons pas peur des mots, nous pouvons tenter de faire mieux. Pourquoi ? Parce qu’à l’heure actuelle, de multiples études, analyses, lectures, relectures, adaptations dont ont été faites des textes du natif de Chicago – nous pouvons étudier un auteur à l’impact mondial en ayant encore des témoins de première main sous la main, justement, profitons-en ! (combien auraient apprécié pouvoir faire de même avec William Shakespeare ?) – qui nous permettent de mieux comprendre où il voulait en venir, ce qu’il voulait exprimer.
Cette nouvelle traduction de Sébastien Guillot était donc du pain bénit. Et puis, pour Etienne Barillier, la légitimité de bonhomme – si tant est qu’il en faille une pour être autorisé à produire une réflexion, que l’on m’excuse ce réflexe unversitaro-académique – se fait d’elle même au travers de ses participations à de nombreux essais chez les Indés de l’Imaginaire, notamment son Petit Guide à Trimbaler de Philip K. Dick dans la collection Les 3 Souhaits chez Actu Sf, tient le site dickien.fr et sa participation à la monographie sus-citée de Richard Comballot.
Regarder et comprendre, interroger le monde autour, voilà probablement le leitmotiv de ce roman de Dick. Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques nous livre énormément de pistes pour appréhender la vision du monde de Philip K. Dick, qui oscillait entre une paranoïa permanente et une longue auto-destruction pré-programmée pourrait-on dire – un comble pour l’auteur de Total Recall !
Quoiqu’il en soit, l’univers du roman est intégralement placé sous le joug d’un système économique écrasant, oppressant, qui amène les citoyens à la consommation pour se justifier d’exister. Rick Deckard, le personnage principal, ne sort jamais sans son Sidney, ce petit bouquin référençant les cours des prix sur tous les animaux trouvables. Pourquoi cette fixette sur les animaux ? Parce que l’intégralité du récit se passe après la Dernière Guerre mondiale, qui a laissé la Terre pratiquement inhabitable. Ses habitants ont majoritairement émigré vers les colonies martiennes, terres promises de l’humanité parfaite. Seuls restent sur Terre les altérés ou les pauvres. Être sur Terre, c’est déjà une sanction en soi, dans la conception même de l’individu selon Dick, et c’est le système économique qui l’impose. Ce système, l’économie de marché capitaliste, est dans le roman une probable figuration du système économique qu’a connu Dick et qui l’a longtemps empêché de vivre aisément malgré son travail (sauf, peut-être sur la fin).
Dans ce système qui agit comme une chape de plomb sur les épaules des individus, chacun, du plus faible, au plus aisé, est soumis à l’omniprésence médiatique et, pour exister aux yeux de son voisin, se doit d’y prendre part. Pour pouvoir se le permettre, les individus doivent compter sur leur travail. Deux exemples nous sont livrés dans le roman : celui du personnage principal, Deckard, et celui d’un autre individu, John Isidore. Deckard, de son côté, est inspecteur, chasseur de prime, chargé de retrouver les androïdes initialement destinés au service et à la compagnie des colons sur Mars mais qui se sont enfuis sur Terre pour tenter leur chance, et les retirer (comprendre : les tuer). Ce travail lui pèse et il envisage très régulièrement de le quitter, d’arrêter, il ne peut pas aller au bout de sa mission et s’interroge sur l’humanité de celle-ci, créant bien souvent une intrusion, dans le professionnel, de l’économique : les termes employés (retirer, unités…) notamment par l’administrations des camps de la mort du régime Nazi, dont Philip K. Dick affirme lui même s’être « imprégné des théories et de l’idéologie jusqu’à penser comme un nazi » pour écrire son Maître du Haut Château. Coïncidence ? Peu probable, d’autant qu’une certaine forme de marxisme perce dans son discours : le travail asservit et prive des libertés les plus basiques en faisant croire que, grâce aux revenus, le citoyen est libre (il pourra s’acheter des choses et se créer un bonheur artificiel). De l’autre côté, John Isidore, un dégradé (on lui a cramé une partie du cerveau, faisant de lui un inférieur) occupe une position négligeable dans son entreprise et peine à s’affirmer face à tous ces humains entiers, normaux. Lorsqu’il y parvient, c’est pour mieux retomber sous une autre forme d’asservissement.
Tout cela, cette peur de l’extinction poussant les hommes à se trouver une raison d’exister au travers d’un travail qui ne sert qu’à faire tenir debout un système économique qui se pérennise à leurs dépens, nous amène au dernier point de cette première partie : la place de la vie animale. Rappelons le titre : Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Si on se demande si les androïdes en rêvent, c’est bien que d’autres le font, non ? Ces autres ce sont les humains. Pour exister socialement aux yeux de son voisinage, de ses connaissances professionnelles, chacun se doit de posséder un animal personnel, vivant. Ces derniers étant une denrée rare, leur coût est important. Toute une partie du livre repose sur le tiraillement moral de Deckard qui, ne pouvant s’offrir un animal réel, possède un mouton électrique et rêve de changer cela, se sentant inférieur à son voisin et sa belle jument qui vient de mettre bas ! Aucun parallèle ne vous vient avec ces personnes possédant de beaux gros 4×4 de marques de luxe alors qu’ils ne sortent jamais des villes ?
C’est bien là tout le génie du roman de celui qui a passé sa vie en Californie : ouvrir les yeux sur le monde en questionnant, en doutant, pour essayer de comprendre comment il fonctionne et surtout, pourquoi ? Ce doute permanent se ressent dans le nom de son personnage principal : Rick Deckard ressemble étrangement à un René Descartes, qui disait exister par le doute.
A la belle toile
Et c’est là que Blade Runner entre en scène. S’il a pu déchaîner les critiques à sa sortie – qui a d’ailleurs été un four, payant le succès de E.T. de Spielberg et The Thing de Carpenter – car il modifiait l’intrigue, les personnages (dans le roman, l’intrigue se passe à San Francisco en 1992, soit trente ans après l’écriture du roman alors que dans le film, l’intrigue se déroule à Los Angeles en 2019, 37 ans après la sortie du film) et trahissait supposément les intentions de Dick – d’abord très critique envers le film après être tombé sur un scénario primitif puis ensuite réconcilié quand Ridley Scott l’invita à une projection partielle peu avant sa mort, projection qui le toucha profondément -, le film est aujourd’hui devenu une référence, notamment car il a posé toutes les fondations de l’imagerie cyberpunk (lumière bleue, présence asiatique, pluie…) en plein essor au début des années 1980 (avec William Gibson, notamment) sans s’inscrire lui-même dans cette mouvance. Un fun fact assez cyber serait de noter que le réplicant du Roy Batty, interprété par Rutger Hauer dans le film, a été mis en service le 8 janvier 2016, soit il y a 22 jours, un fait dont l’acteur s’est amusé en vidéo !
Mais le film, notamment grâce à une bande originale puissante et oppressante à souhait signée Vangélis (notamment le thème dédiée à la Réplicante Rachel, Rachel’s Song, absolument hypnotique, aérien et merveilleux, comme l’actrice, seul biais pour s’échapper à la pression constante de l’oeuvre) propose une image souvent bleuie (voir à ce propos les artworks préparatoires), dans une ville sombre aux gratte-ciels imposants – certains étant des décors du Métropolis de 1927 de Fritz Lang – mais qui semble rongée. Il est impossible de s’en extraire et elle le rappelle à chaque instant (énormes écrans géants publicitaires…). Le film transmet merveilleusement bien la peur transmise par Dick et ce n’est pas pour rien si l’auteur s’est senti si proche des quelques images qu’il a pu voir. Une adaptation n’est pas une transposition et à ce niveau le film – et son réalisateur – réalise un coup formidable !
Philip K. Dick comme Ridley Scott nous proposent une vision de la réalité, du monde, par leur regard propre, nous amenant à nous questionner sur la nature du réel : ce que les personnages voient dans le film est-il la réalité ou une image de celle-ci ? Et nous alors ? Et notre réalité ?
Derrière la vision de l’artiste – auteur ou réalisateur – qui interroge le monde, en vient une autre, plus intime et pourtant tellement universelle : qui suis-je ? Si l’on peut questionner, douter du monde, pourquoi ne le fait-on pas pour nous autres, individus ? C’est cette quête d’identité, forte et incroyablement d’actualité de nos jours – utilisée par les recruteurs de groupes terroristes -, est le centre du questionnement de l’auteur dans son roman, et du réalisateur dans son film.
Rick Deckard est un policier qui chasse et tue des androïdes (appelés Réplicants dans le film) et son métier le déshumanise petit à petit . Les androïdes (voir) sont des systèmes mécaniques humanoïdes qui cherchent à devenir humains. Paradoxe ? Non une quête miroir d’identité. L’ouvrage, comme le film, tient un discours sur l’humain, sur l’étranger – Dick aimait beaucoup Camus – et sur la tolérance de l’autre, notamment au travers du personnage d’Isidore dans le livre. Pour exister, Deckard doit vivre dans un non-sens moral permanent : pour exister en tant qu’humain entier, il doit posséder une vie et pour posséder cette vie, il doit tuer des êtres pensants mais, à proprement parler, in-humains.
En face, le diminué, lui, cherche à se faire une place dans la communauté humaine en utilisant son empathie pour aider son prochain mais il n’arrive pas à exister en tant que tel. Le roman s’arrête longuement sur la place de l’empathie. Elle est ce qui permet aux humains, même inférieurs comme John Isidore, de se différencier des androïdes et d’exister : le test pour différencier humains et androïdes est notamment basé sur l’empathie, les micro-réactions provoquée par celle-ci. Mais la dernière génération d’androïdes/réplicants, le Nexus VI, arrive à un niveau tel d’humanisation que le test en devient délicat. Dans le roman, même, certains d’entre eux arrivent presque à le feinter. C’est au regard de cette évolution technologique de Deckard se demande : qui suis-je ? Suis-je réellement humain quand ces prétendus androïdes peuvent chanter, me toucher au plus profond ? Si je reconnais en eux ce qui me plait dans l’humain, n’en suis-je pas un moi-même ? C’est d’ailleurs l’une des grandes forces du film et l’une des raisons qui ont contribué à son statut de film culte, entraînant des débats sans fin auxquels Ridley Scott a coupé court en répondant à la question une bonne fois pour toute dans une interview. Hé oui, même un réalisateur de génie peut avoir des coups de mou.
De plus, tout un discours est tenu sur la place des sexualités alternatives et développé au travers, dans le roman et le film, de Deckard et de son attirance pour Rachel (une androïde). Attirance a priori couplée de sentiments dans le film. Cette attirance conduira à leur faire avoir des relations sexuelles, encouragées dans le roman par un autre personnage, lui aussi chasseur de prime, complètement déshumanisé (il est bien plus loin sur le chemin que Deckard semble avoir emprunté), qui recommande de coucher avec les androïdes femelles avant de les tuer. Un viol, voilà. Ce à quoi Deckard réagit avec dégoût. Mais, dans les années 1980, cette réflexion sur le viol punitif – comme dans certaines guerres tribales d’Afrique ou, plus proche de nous, en Serbie il y a quelques années ou sur les populations amérindiennes aux Etats-Unis – couplée à celle sur les sexualités alternatives témoigne de l’évolution de conscience d’une époque (notamment avec la considération des homosexuels aux Etats-Unis, mise en exergue avec le cas d’Harvey Milk, politicien homosexuel assassiné) – et préfigure l’ère cyberpunk. Ces thématiques, cruciales, resteront longtemps avant de revenir sur le devant de la scène, récemment au travers de l’excellent film Her de Spike Jonze dans lequel un écrivain public solitaire (il écrit les lettres d’amour des autres) s’éprend de son nouveau système d’exploitation..
Cette quête d’identité se traduit par un partage du fardeau entre l’homme et la machine, qui affrontent tous les deux le même parcours d’obstacle, dans une mise en miroir : la connaissance instantanée s’oppose à l’empathie, là aussi un thème très actuel (rappelons-nous après les attentats de novembre 2015, ces réactions prises dans l’émotion quand la lucidité aurait dû primer). Ce qui nous différencie, nous humains, de la barbarie, c’est l’émotion : il est alors légitime d’en user et d’en abuser, de s’y abandonner, pour se trouver en tant qu’individu. Philip K. Dick comme Ridley Scott proposent une autre vision du monde, une vision ou tout est affaire de choix. Ces choix, on ne peut pas les faire dans la précipitation, ce qui est traduit à l’écran par la lenteur de la narration : un parti pris audacieux qui donne, avec cette pluie incessante, une ambiance inégalée jusqu’alors.

De quoi approfondir le propos génial de trois artistes : le romancier, le réalisateur et le musicien.
Le Coureur de lame 2
Changer la fin du roman, est-ce cela une trahison ? Je ne pense pas. Par contre, que les studios redécoupent le film du réalisateur après coup et y ajoutent des images tournées pour d’autres longs métrages afin de modifier la fin voulue par une autre, débile, ajouter une voix off, le tout sans l’accord du créateur, ça par contre ça peut être considéré comme une trahison. Mais pour laquelle Ridley Scott n’est pas responsable. Heureusement, aujourd’hui, nous disposons de la version voulue par l’artiste, comme du roman voulu par l’auteur (à qui on avait demandé de novéliser le scipt du film, ce qu’il avait refusé).
Au final on peut profiter d’une certaine continuité dans l’illusion, qui nous permet, aujourd’hui encore, d’interroger notre monde, de nous interroger nous-mêmes – cette bonne vieille introspection si chère à Dick – et d’en arriver à des conclusions encore pertinentes dans la configuration actuelle globale du monde, nous l’avons vu. Si l’univers est post-apocalyptique, les thématiques, elles, à l’image du cyberpunk, sont belles et bien sociales et systémiques !
Le film a eu un impact culturel si important sur les générations qu’aujourd’hui encore il continue à être exploité dans les salles de cinéma. Ce n’est pas pour rien que ce papier est si long, que la mise en ligne de la vidéo viendra et que d’autres ouvrages, concentrés sur l’auteur ou le message du livre seront traités dans nos pages. Ridley Scott a, pour sa part, annoncé une suite, toujours avec Harrison Ford (qui reprend décidément tous ses vieux rôles : Indiana Jones 4, Star Wars…), qu’il produira et qui sera réalisée par le québécois Denis Villeneuve (Sicario, Prisonners, Enemy). Le tournage commencera dans quelques mois !
L’impact de l’oeuvre peut être mesuré, aujourd’hui encore par les nombreux hommages, à tous les niveau, qui lui sont rendus : Actu-Sf a donc publié une monographie et un guide sur l’auteur, mais aussi un thriller, P.K. Dick goes to Hollywood, où l’auteur tient une place importante, les éditions Allia ont publié l’ouvrage de Mike Davis Au-delà de Blade Runner: Los Angeles et l’imagination du désastre, les éditions Les Moutons Electriques sont nommées d’après son roman et l’émission web dédiée à la science-fiction Nexus VI – dont nous avions eu le capitaine en interview après un bel édito – tire son nom du célèbre modèle d’androïde.
Enfin, en 1982, année de sortie de Blade Runner et du décès de Dick, l’écrivain anglais Douglas Adams, dans le troisième volume de sa trilogie en cinq volume (Hitchhiker guide for the galaxy / film), La Vie, l’univers et le reste, prêtait ces mots à l’un de ses personnages (notons la qualité de la traduction de Jean Bonnefoy) :
« Ainsi couché jusqu’aux aurores
Je compte les moutons électriques
Jamais ne rêve l’androïde
Car dès qu’il entre en transe y s’tord
Oh que je déteste la nuit.«
Ne reste qu’à nous d’en sortir.
Vil Faquin
Sur Blade Runner 2049 : Que faut-il en attendre + Analyse des Prequels ?
Du même auteur : Rapport minoritaire / Souvenirs à vendre, Le Maître du Haut-Château.
A voir : Conférence sur Blade Runner avec Raphaël Colson.
Du même réalisateur : Seul sur Mars, Exodus: Gods & Kings, Robin des bois.
Sur le cyberpunk : Cyberpunk – 1988, Neuromancien, Inner City,
La Voix brisée de Madharva, Le Programmeur de mémoire.
Raphaël Colson : Un avenir qui nous échappe et Un avenir retrouvé.
Sur l’impact de l’oeuvre : Au-delà de Blade Runner.
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