Neuromancien (Neuromancer)

Neuromancien (Neuromancer)

William Gibson

Quand j’ai acheté Neuromancien chez mon libraire il y a désormais plusieurs années, j’avais le grand projet de me faire une review de la culture cyberpunk à travers certaines des productions occidentales les plus emblématiques, notamment en ce qui concerne le cinéma américain et la littérature anticipatrice science-fictionnelle techno-hantée du courant susmentionné. Cela justifie-t-il de produire des phrases aussi longues ? Pour sûr.

Mais si, plusieurs années après, je lis enfin ce chef-d’oeuvre – ne vous inquiétez pas, nous allons y revenir longuement -, la question à se poser est : pourquoi pas plus tôt ? – non pas le chien de Mickey (à ne pas confondre avec Dingo, autre chien, mais ami de Mickey cette fois. Pourquoi deux chiens et un seul habillé et civilisé ? Je n’irai pas jusqu’à proposer la théorie du bon sauvage, mais je n’en serais pas loin. Mais je m’égare). Eh bien parce que ça m’a pris du temps à moi, enfant des années 1990 et adolescent des années 2000 pour comprendre la mentalité toute particulière de ce courant de pensée particulier qu’est le cyberpunk.

Il y a quelque temps, quand je discutais sur ce site du petit ouvrage publié par Allia intitulé Cyberpunk – 1988, je faisais même des contresens en tentant une analyse. Contresens qui avaient au moins le mérite de chercher à se débattre. Quelque temps après, en étant revenu sur les influences de ce mouvement – la culture punk d’un côté et les romans de P.K. Dick de l’autre, notamment Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? – il m’est apparu comme opportun de traiter le sujet de façon fouillée et, cette fois-ci, avec du recul et une certaine compréhension des mécaniques à l’oeuvre.

Câblage approximatif ok / Etat d'esprit ok / Lectorat ok / Photographie à peu près d'ambiance ok / Ignition...

Câblage approximatif ok / Etat d’esprit ok / Lectorat ok / Photographie à peu près d’ambiance ok / Ignition…

Fibre-livre

En 1982 sort un film qui va profondément bouleverser, tant par ses thèmes et sa noirceur que par son esthétique résolument nouvelle et révélatrice de réalités sociales sous-jacentes à nos sociétés occidentales développées, tant l’industrie de l’image et du cinéma que les mentalités de son temps. Ce film, c’est Blade Runner, de Ridley Scott. En 1984 sort aux Etats-Unis un ouvrage dont l’auteur s’est dit fortement inspiré par les thématiques du roman de Philip K. Dick dont était tiré le film, Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, ainsi que par le design phobique de la méga-cité proposée. Cet ouvrage c’est Neuromancien d’un certain William Gibson.

En 1985, l’ouvrage est traduit en français par Jean Bonnefoy pour éditions La Découverte, puis en 1988 au format poche chez J’ai Lu, qui le publie aujourd’hui encore, avec une couverture de l’artiste Tomislav Tikulin. Comment cela s’explique-t-il ? Probablement par le fait qu’entre 1984 et 1985, Neuromancien sera le seul roman de l’histoire à se voir décerner les trois prix les plus prestigieux de la science-fiction : le prix Nébula et le prix Philip K. Dick puis le prix Hugo. A ce jour, aucun autre roman n’a réussi à reproduire ce tour de force.

Note : A l’aulne de ces trois prestigieuses récompenses, vous imaginez que je n’aurais pas grand chose à faire d’autre, du pur point de vue de l’expérience de lecture, que de vous conseiller 1000 fois d’acheter et lire ce chef d’oeuvre. L’article du jour a surtout pour but de comprendre tout ça. Genre le cyber, pourquoi, comment ?

Comment expliquer ce succès ? Un ensemble de raisons allant du banal au banal : style, talent, réseau et ponctualité. Si le style et le talent sont indiscutablement liés à l’individu et à son travail pour améliorer son art, le réseau et la ponctualité sont deux éléments beaucoup plus versatiles. Le réseau déjà, on l’avait vu pour Lovecraft – auteur admiré par Gibson, soit dit en passant, pour son questionnement permanent – joue un rôle important dans la diffusion des textes. Gibson fait partie, après avoir découvert la contre-culture et son échec, d’un mouvement d’écrivains qui se réunissent dans des magazines pour publier ensemble des textes aux motifs et ambitions concomitants. Ensemble, avec notamment Bruce Sterling, chef de file de la mouvance naissante du début des années 1980, ils vont publier jusqu’à ce que l’un d’entre eux se fasse remarquer et popularise leur mouvement, qui sera appelé par Gardner R. Dozois cyberpunk.

Ensuite que reste-t-il ? Le timing. Après l’échec des contre-cultures des années 1970, portées par les Kerouac et les Easy Rider, un vide est laissé dans les mentalités pour la contestation de l’ordre établi et l’émergence de la mouvance cyberpunk, fortement connotée par la question sociale mais, plus largement encore, par des questionnements économico-politiques, interrogeant tous les aspects de la vie – on y revient juste après – semble à point nommée. D’autant que les questions soulevées émergent depuis d’autres mouvements littéraires et culturels – on l’a vu avec les textes de Dick ou le cinéma de Scott avec Blade Runner, mais aussi Black Rain en 1989, mais c’est aussi le cas avec Vidéodrome de David Cronenberg, dont le vocabulaire hantera la pensée cyberpunk. C’est là que ma réflexion rejoint celle de Raphaël Colson dans son premier édito – Un avenir qui nous échappe – où il traite de la place du cyber : toute une culture tournant autour de thématiques nouvelles se développe et s’empare du mouvement.

Gibson, Sterling et les autres arrivent au bon moment. C’est aussi simple que ça. En ayant su saisir l’essence même d’un temps où l’espoir fondait et où les aspirations d’un peuple de plus en plus urbain étaient ingérées par cette même urbani-cité, Gibson a mis le doigt dans une poudrière intellectuelle qui ne demandait qu’à prendre feu et se consumer. En 15 ans, l’intégralité de la question cyberpunk sera développée dans tous les sens jusqu’au tournant des années 2000 et le basculement sur d’autres thématiques, bien plus eschatologiques cette fois, tournant autour du post-apocalyptique.

En bref, William Gibson a réussi avec Neuromancien ce que Dick n’avait pas réussi avec la plupart de ses ouvrages : faire coïncider la projection littéraire de son oeuvre avec les aspirations et angoisses de son temps. Hé oui, monsieur Dick, c’est ça d’être en avance sur son temps… D’ailleurs ça n’étonnera personne que certaines des plus célèbres adaptations de Dick (Souvenir à vendre avec Total Recall de Verhoeven et Rapport minoritaire avec Minority Report de Spielberg) se trouvent dans la période cyber

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Une base de travail : la formulation de ce qu’est le mouvement cyberpunk en 1988, chez Allia.

Cyber-fondation

De notoriété commune, Neuromancien est considéré comme le premier roman cyberpunk, posant une définition générale du genre pour presque deux décennies à venir. L’étude d’un tel ouvrage revient alors nécessairement à étudier le mouvement en lui-même et c’est pourquoi cette partie va s’essayer à mettre en évidence les grandes lignes de ce que l’on peut définir comme mouvement cyberpunk.

Tout d’abord il faut savoir que le mouvement cyberpunk ne prendra ce nom qu’après la parution du roman sous la plume de critiques et auteurs et, au moment ou Neuromancien sort dans les librairies américaines, ce terme aujourd’hui si familier n’existe ni n’a réellement de sens. Ce qui a un sens, par contre, c’est la définition que l’auteur donne lui-même de son titre : neuro pour nerf et mancien pour le côté magique, dans un astucieux dérivé de nécromancien. Avec les nerfs qui représentent les différents câblages des humains modifiés ou de l’intelligence artificielle qui peuple son récit et le mysticisme qui entoure l’étymologie de la seconde partie du mot, William Gibson crée un univers autour de son simple titre – vous vous souvenez quand je vous parlais de la puissance des titres ici ou ? -, un univers dans lequel les lieux communs assimilés par le public de cette contre-littérature et renvoyant à l’heroic fantasy se mêlent à des notions de contestation.

Ainsi, par un tour de passe-passe habile et génial, la littérature cyber s’allie un public qui n’a pas à faire d’effort d’adaptation pour comprendre le message punk – et on ne s’arrêtera pas sur la culture punk, sinon cet article n’aurait jamais de fin.

On l’a dit un peu plus haut, Neuromancien, du fait que son auteur ait été fortement inspiré par les deux grosses sorties cinématographiques de 1982, emprunte à la fois à Blade Runner et à Vidéodrome. Au second, il emprunte notamment toute un vocabulaire et, à partir de lui, développera un nombre de champs lexicaux impressionnant, tant au niveau de la cité, que de l’informatique, de la notion de l’humain modifié, que de la société d’en bas… J’en passe et des meilleurs. Cet argot très spécial est notamment visible en partie dans Cyberpunk – 1988, dont toute une partie tourne autour du vidéodrome, justement.

Blade Runner, on pourrait croire que Neuromancien emprunte excessivement, tant il y a de similarités entre les deux univers, noirs et pessimistes. Mais, au final, pas tant que ça. Il emprunte peut-être ce que Mike Davis (dont certains des travaux en français on été publiés par les éditions La Découverte, tiens), dans son Au-delà de Blade Runner, chez Allia, explique de la sorte :

« L’historien Kevin Sarr […] écrivait […] : ‘Il y a, bien sûr, le scénario Blade Runner : la fusion de cultures individuelles en un polyglottisme vulgaire et lourd de tensions non résolues.’
Blade Runner – le côté obscur de Los Angeles. Un voyage avec la compagnie Gray Line  en 2019 vous offrirait le spectacle suivant : la pyramide néo-Maya de la Tyrell Corporation, haute de deux kilomètres, fait tomber des pluies acides sur les masses métissées de la grouillantes ginza qui s’agite en contrebas. D’énormes images de néons flottent telles des nuages au-dessus de rues malodorantes, où l’hyperviolence règne, pendant qu’une voix débite des réclames […]. Deckard […] lutte pour sauver sa conscience […] dans un labyrinthe urbain contrôlé par des firmes de biotechnologies malveillantes. »

De tout ça on peut ressortir plusieurs points : crise d’identité, omniprésence de la publicité, des gratte-ciels et de la cité imposante et écrasante, les mégacorporations et un côté cosmopolite extrêmement varié. Certes. Mais tous les éléments cités ci-dessus sont des éléments aussi importants dans le discours de Blade Runner que dans celui dans lequel s’inscrit Neuromancien : une contestation des prévisions sociales et économiques renfermera systématiquement les mêmes éléments qu’une autre critique produite dans le même ferment idéologique. Non, là où William Gibson emprunte réellement à Scott, plutôt qu’à Dick, c’est dans l’esthétique graphique et visuelle. Notamment un point : l’omniprésence de la mondialisation et de certaines cultures.

L’ouvrage se passe pour partie dans ces immenses méga-cités, des conurbs, des agglomérats urbains où « la fusion de cultures individuelles en un polyglottisme vulgaire et lourd de tensions non résolues » pour reprendre la citation précédente. Dans ces méga-ensembles urbains, l’influence de Ridley Scott est notamment sensible à la forte place occupée par la culture, les mythes modernes et la force d’évocation de l’Asie et notamment du Japon. Les termes à consonance nippone se multiplient, l’ouvrage commence en Asie, … Mike Davis, dans le même ouvrage nous dit que « Scott est, de notoriété publique, obsédé par l’idée que le Japon urbain est le vrai visage de l’enfer, comme en témoigne son film suivant, Black Rain. » Cette idée se retrouve également dans le texte de Gibson, largement développée et appliquée aux systèmes urbains occidentaux (dont la France, la Turquie et les Etats-Unis font office d’exemple).

Etant le noeud de l’intrigue, le concept des méga-corporations complotistes est également de la partie et se couple avec la quête d’identité, concept très dickien, mais qui trouve ici un sens nouveau et très en phase avec son temps. La présence de publicités, mentionnées plus haut, est renforcée par une citation d’un nombre de marque conséquent (réelles ou fictives) pour donner au lecteur un reflet social convaincant. Un phénomène qui s’accorde tout à fait, une fois encore, avec l’esprit libéral à outrance prôné par Reagan, qui accède à la présidence des Etats-Unis la même année. Coïncidence ? Je ne pense réellement pas. Cela permettrait d’expliquer avec une quasi certitude une partie du succès du mouvement cyber. Surfer avec son temps.

En 1984, pour surfer sur un autre phénomène très d’actualité, il y a les jeux olympiques de Los Angeles. Reagan, qui entend redonner à son pays une place de premier plan, voit se poser aux pieds de son estrade un homme en jet-pack, symbole s’il en faut de la capacité d’enchantement technologique d’une Amérique fragilisée. Si cela n’a pas d’impact direct sur Neuromancien, l’un comme l’autre interviennent la même année, 1984, et sont porteurs de pensées communes : le jet-pack veut montrer le potentiel techno-futur plein de promesses et d’espoir qui s’offre à la nation. Neuromancien s’empare également des notions technologiques, c’est même l’un des chevaux de bataille du cyberpunk que de piocher dans les progrès phénoménaux de l’informatique (proto-stockages usb gros comme un chargeur de fusil d’assaut…). Mais, au lieu de faire miroiter l’espérance, Neuromancien – rappelons-le, premier roman cyberpunk – pose les bases de toute une culture en allant immédiatement chercher les dérives technologiques d’un tel futur. En empruntant à l’histoire de l’informatique (notamment les très excellentes références à Turing) et en inventant et proposant une réflexion sur la virtualité et les différentes couches de réalité qu’un être humain peut expérimenter (réelle, physique, sensorielle, virtuelle…) William Gibson développe habilement toute une mythologie : création du cyberespace, de la construction de celui-ci, de la matrice, réflexions autour des intelligences artificielles, de la quête de personnalité, place des individus dans le système informatique, réflexion sur la vie robotique (très peu d’animaux sont présents, mais beaucoup de « chien-robots », par exemple)…

En réfléchissant sur des domaines d’actualité, en se basant sur ce qui existe en son temps, sur les prédictions que sont celles des nouvelles technologies informatiques, Gibson propose un argumentaire complet sur la place des systèmes dans l’ère néo-libérale de la fin de XXème siècle. Certaines idées émergentes, qui peuvent passer inaperçues à une première lecture, sont incroyables de potentialités futures :

« Muetdhiver était un simple cube de lumière blanche, avec cette extrême simplicité qui suggérait une complexité extrême. »

On pourrait dire qu’il y aurait dans cette simple phrase un vivier marketting incroyable. Vivier qui sera exploité – pillé ? – allègrement par Apple dans les années 2000.

"Bonjour, je suis Ethernet. Je vais m'insinuer en toi et te détruire. Amitiés."

« Bonjour, je suis Ethernet. Je vais m’insinuer en toi et te détruire. Amitiés. »

Mancie du nerf social

« Fais pas ça, […] T’as raison. […] Si tu te sers de ça, tu verras quantité de cervelle et de sang… […] »
Puis, trois pages plus loin :
« ‘
Ca va comme ça, fils de pute !’ et Case lui tira dans la bouche avec son 357 Magnum.
Le coup de la cervelle et du sang, c’était pas des blagues.« 

Il y a un cynisme cruel et un désenchantement profond à lire Neuromancien. Comme si toute la société décrite, décriée, contestée parfois dans l’ouvrage était finalement venue à bout de l’auteur/du narrateur, qui se serait alors changé en son porte parole. Les questions d’entropie et de déliquescence sociétales sont omniprésentes mais, par un miracle que je ne m’explique pas, chaque fois qu’une réflexion construite sur le système de société commence à se construire, elle est aussitôt avortée et tuée dans l’oeuf. Les personnages principaux, Case et Molly, véritables incarnations du contre-héros cyberpunk, ne cherchent jamais à s’extirper des systèmes. Tout au plus cherchent-ils à survivre, en déployant force cynisme et désenchantement. Oui, je me répète.

L’entièreté de l’ouvrage est construite autour de cette danse rituelle entre la critique et la résignation. Ainsi en est-il du discours sur l’immédiateté qu’apporte la technologie et les implants. Avoir tout à disposition tout de suite. Ne plus vivre pour rien d’autre que ce rush. Le sujet est évoqué à de multiples reprises mais aucune réflexion de fond n’est amenée pour traiter du sujet en profondeur. Idem, mais peut-être dans une moindre mesure, pour le discours omniprésent sur l’artificiel : dans ses trips dans la matrice, Case est plusieurs fois confronté à la question du réel. Et, un peu comme dans le fameux passage sur le banc dans Le Maître du Haut Château de Dick, ou à l’instar du film Inception, la réflexion ne fait qu’effleurer la surface d’un problème qui se révélera dans les décennies à suivre crucial pour arriver aujourd’hui à un véritable débat social sur les réalités virtuelles, augmentées… Idem pour la question des intelligences artificielles, qui sont abordées et développées mais sans jamais donner de position, d’argumentaire stable.

Est-ce là une critique ? Oui et non. Oui parce qu’on peut se sentir frustré et non parce que cette frustration relève bien spécialement de ce qui fait la force de ce premier livre d’un courant qui sera définitivement marqueur dans les mentalités collectives : l’incrustation dans le temps. La réflexion cyber dans Neuromancien propose un diagramme de vision de la société américaine du milieu des années 1980 sous trois aspects : contexte politico-économique, rapport de domination et apport des technologies. Or après l’échec des contre-cultures des années 1970, il y a une désillusion profonde dans le discours qui laisse transparaître l’un des fondements de la culture contestataire punk : à quoi ça sert d’imaginer l’avenir puisque demain il pleuvra ?

On sent derrière la plume magistrale et le style de maître – rappelons que c’est un premier roman – que l’auteur sait déjà au fond de lui que tout le discours produit par ce courant naissant qui n’a pas encore de nom l’est en vain. La lecture s’en trouve impactée – sans provoquer le moindre ralentissement ou la moindre lassitude – mais l’ambiance générale de l’ouvrage part d’un postulat noir sans jamais regarder vers un espoir possible : rien ne va et on essaie juste de conserver le status quo, autant que possible. Comme une fuite en avant ? Qui sait…

Cette désillusion se retrouve dans les nombreuses questions chères aux contre-cultures américaines qui sont développées dans les lignes de Neuromancien – là encore, on pourrait faire un parallèle bancal avec Dick – : la culture rastafari est fortement présente – rajoutant une dose de mysticisme bienvenu à un moment de l’intrigue où l’abondance des intervenants à multiples visages menace de perdre le lecteur – la culture montante aux Etats-Unis et très à la mode des salles d’arcades et du jeu vidéo est également abordée de façon toujours indirecte, témoignant là d’un temps plus que relevant d’une nécessité dans le message, d’autres encore sont mentionnées (monde de la nuit, bars des bas quartiers…). Dans toutes ces sous-cultures massivement présentes dans les grouillements urbains, deux thématiques ressortent, qui les lient toutes : les drogues et le sexe. Toutes deux sont traitées comme des échappatoires, jamais comme des solutions, souvent comme des choix discutables. Omniprésentes, ces deux idées confortent le narrateur et pas mal d’autres personnages dans leur choix d’endurer une société, et de ne pas se lever. Hashtag résignation.

Alors oui, il y a cette morosité des protagonistes qui va à l’encontre de la plupart des fictions dont nous avons l’habitude ou l’insurrection, de plus en plus est à la mode. Mais le « courber l’échine » est quelque chose que l’on lit trop peu souvent… Pourquoi le lire alors qu’on le vit parfois/souvent au quotidien me direz-vous, habiles lecteurs ? Peut-être parce que le lire nous fait en prendre conscience. Et en prendre conscience autrement, c’est déjà faire un premier pas !

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Un petit tas de trucs à lire. Y’en a pour tous les goûts.

La neuro-arlésienne

Nous pourrions encore parler longtemps des lieux communs empruntés à la science-fiction anticipatrice et développés ici – comme le dit fort justement un ami : « rien ne vient de nulle part, tout est reprise » – et le très riche héritage laissé par ce chef d’oeuvre romanesque : la ville au sol invivable survolée par un eden artificiel un peu comme dans Elysium de Blomkamp, les stations artificielles en orbite à la Interstellar de Nolan, ou encore les multiples références à la matrice ou à la mythologie judéo-chrétienne (Rastafarai, Sion…) de Matrix des Wachowski, j’en passe et des meilleures.

L’oeuvre de Gibson a aussi été portée à deux reprises à l’écran, notamment avec l’adaptation à l’odeur de navert de Johnny Mnémonic (avec Keanu Reeves, oui oui, le même que dans Matrix) ou encore avec New Rose Hotel. Neuromancien a lui aussi été programmé plusieurs fois sur le grand écran, sans jamais que le projet ne voit le jour. Notamment en 2010, 2011 et 2014. Les articles fleurissent à ce propos et devinez qui relance le projet mort ? Les Chinois. Espérons que l’affiche soit plus alléchante que celle du projet de 2011. Quand on vous dit que l’Asie, c’était le nez creux.

Bref, pour ma part Neuromancien restera une expérience de lecture incroyablement atypique et géniale. Il est normal, sous plein d’aspects (actualité sociale des années 1980, état technologique de la même époque…), de se sentir parfois un peu perdu mais les coups de génie de William Gibson résonnent tellement fort qu’ils sauront, sans nul doute, vous faire prendre votre dose de speed.

Et n’oubliez pas la campagne de crowfunding pour l’organisation du Colloque du Héros !

Vil Faquin

A lire : Un avenir qui nous échappe & Un avenir retrouvé.
Philip K. Dick : Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?
Sur le cyberpunkCyberpunk – 1988Inner CityLe Programmeur de mémoire, Tuning Jack,
La Voix brisée de Madharva
.
Sur l’impact de l’oeuvre : Au-delà de Blade Runner.
A voir : Conférence sur Blade Runner avec Raphaël Colson.

14 commentaires

  1. Signalons au passage, parmi les précurseurs, John Brunner avec Tous à Zanzibar, ses mégalopoles surpeuplées et l’IA Shalmanezer, énigmatique dans son boitier d’une grande simplicité, et surtout Sur l’Onde de Choc, qui annonce aussi bien les Hackers que les mouvements décentralisés de type Anonymous. et tout ça au tournant des années 70.

  2. Il est dans ma pile à lire …. Le côté résigné a souvent tendance à m’agacer, ainsi que la superficialité, mais je suis très curieuse de le lire. J’espère que le rendez vous sera moins raté qu’avec Lumière virtuelle, du même auteur, qui m’avait laissée de marbre !

    1. Le côté résigné est plus à chercher dans le mouvement en lui-même que dans l’ouvrage.
      Certains personnages sont résignés quant à la société mais cherchent quand même à sauver leur peau.
      Enfin, tu verras, c’est quand même un sacré chef d’oeuvre.

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