Rapport minoritaire (Minority Report) & Souvenirs à vendre (We can remember it for you wholesale)
Minority Report & Total Recall + Total Recall : Mémoires Programmées (Total Recall)
Philip K. Dick / Steven Spielberg
Paul Verhoenven / Len Wiseman
Gros titre. En même temps, je voudrais pas dire mais si vous lisez entre les lignes, vous pouvez aisément vous rendre compte qu’il s’agit d’étudier cinq oeuvres – deux nouvelles et trois films – de quatre auteurs différents, rien que ça.
Alors dit comme ça, ça parait pompeux – Boom! – mais ne vous inquiétez pas. On ne va pas étudier chaque film en détail comme pourrait le faire un Lemming Affranchi. Non non, on n’aura pas cette prétention. Ce qui est clairement l’objectif ici, c’est de continuer de dresser un portrait temporel de l’évolution de l’imagerie cyberpunk dans les mentalités collectives. Ce travail, commencé avec deux gros articles sur Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? / Blade Runner, du même P.K. Dick et son adaptation par Ridley Scott, et sur Neuromancien de William Gibson ainsi que, plus récemment, sur l’essai de sociologie urbaine Au-delà de Blade Runner par l’historien américain Mike Davis, qui nous permettait d’étudier le glissement des références politiques et sociales à la pop-culture cyber des Etats-Unis à l’Europe en vingt à trente ans.
Aujourd’hui, nous allons essayer de voir comment d’un Philip K. Dick torturé, on en vient à une imagerie et une adaptation particulièrement orientée sans que cela choque outre mesure et, mieux !, sans que cela ne dénature forcément l’oeuvre d’origine.
Intriguant ? Mais nous n’avez encore rien lu !
Bilingual-memories
Bon alors. Avant de se lancer, peut-être qu’on devrait faire un léger point sur ce dont on parle, et sur le contexte. La première chose, ce sont bien évidemment les deux nouvelles de Dick, Rapport minoritaire (Minority Report) & Souvenirs à vendre (We can remember it for you wholesale) ici rassemblées ensemble dans la collection Folio Bilingue en raison de leurs deux liens les plus évidents : deux nouvelles d’un auteur à la mode à partir de la fin des années 2000 et adaptées au cinéma par deux films au succès assez fort.
L’ouvrage, qui nous présente un magnifique Tom Cruise sur la couverture – aux tons bleutés élégamment futuristes – nous propose notamment une préface de Sébastien Guillot, l’homme qui a traduit Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, qui donne au profane quelques pistes bien senties pour appréhender les adaptations cinématographiques et les nouvelles de concert. Il mentionne également plusieurs autres adaptations (autres que Blade Runner, j’entends) qui ont permis de voir évoluer la compréhension de l’auteur sur les écrans, mais sans jamais pousser l’analyse. Dans le cas où vous souhaiteriez le faire, je ne saurais trop que vous conseiller de vous plonger dans Philip K. Dick : Simulacres et illusions chez Actu Sf, dirigée par Richard Comballot, qui vous permettra d’aller beaucoup plus loin sur ces questions d’adaptations à l’écran.
L’édition, bilingue donc – page de gauche en anglais et page de droite en français, est également augmentée de quatre feuillets glacés sur lesquels figurent une photo de l’auteur, ainsi que les affiches et des images tirés des deux films adaptés des nouvelles présentées, accompagnées de quelques commentaires. L’ensemble de l’esthétique de l’édition est très soigné et présente notamment un jeu constant entre le bleu électrique et le blanc, rendant l’ensemble relativement élégant. Néanmoins, un point me titille toujours : je ne comprends les différences dans la typographie entre anglais et français : pour un nombre de lignes souvent pas si différent que ça, on arrive, avec des espaces interlignes et interlettres assez dingues, à des différences de longueur assez notables. Est-ce un parti pris ou une norme pour chacune de ces langues ? Est-ce censé faciliter la lecture ? Le saurons-nous un jour ? Autant de questions auxquelles je ne répondrai pas ici, après tout, ce n’est pas ma came.
Je disais un peu plus haut que ces deux nouvelles avaient été rassemblées ici en raison de leurs deux points communs apparents (auteur et adaptation). Un choix, donc, purement éditorial. Rappelons une chose, simplement. Rapport minoritaire est une nouvelle qui a été écrite en 1956. Souvenirs à vendre en est une autre, écrite, elle, en 1966. Dix ans séparent ces deux textes. Dans la vie d’un écrivain, ce n’est pas rien. La première n’arrive en France qu’en 1975 alors que la seconde arrive l’année même de sa parution : 1966. On a donc une nouvelle plus récente de dix ans qui imprègne néanmoins les mentalités françaises depuis dix ans de plus que sa comparse de dix ans son aînée. C’est flou ? Que nenni :
1956 – Parution de Minority Report aux Etats-Unis.
1966 – Parution de We can remember it for you wholesale aux Etats-Unis et traduction en français la même année (Souvenirs à vendre).
1975 – Traduction de Rapport Minoritaire en français (10 après Souvenirs à vendre et 20 ans après sa parution initiale).
Est-il étonnant, alors, de les retrouver, en 2009, dans une collection française qui propose de découvrir des auteurs étrangers à travers un ou plusieurs textes courts présentés dans un ouvrage bilingue ? Pas tant que ça. C’est ce qu’on appelle communément une association de fait. Philip K. Dick est associé à ces deux travaux sur la mémoire.
Travaux, soit dit en passant, qui se retrouvent aujourd’hui aux programmes de culture général du ministère de la culture comme « Thèmes concernant l’enseignement de culture générale et expression en deuxième année de BTS » pour l’année scolaire 2015/2016. Dans le thème 2 du bulletin gouvernemental, intitulé « Je me souviens » on peut lire, entre autre, ceci :
Pris dans le flux de l’immédiat et du court terme, emportés par le cours accéléré de la vie, nous n’en prenons pas moins le temps de nous tourner vers le passé. Nous explorons nos souvenirs personnels, nous partageons des souvenirs communs et nous nous replongeons volontiers dans un passé reconstruit et idéalisé. Pourtant, nous acceptons aussi d’oublier, nous en percevons même la nécessité. Nous oublions ce qui est anecdotique, ce qui est accessoire ; nous oublions parfois aussi l’essentiel. La littérature contemporaine rend bien compte de ces contradictions : nous cultivons une étrange mémoire, souvent lacunaire et prête à réécrire le passé en vertu des droits de la fiction.
Notre identité n’est-elle faite que de mémoire ? […]
Des thèmes très actuels, des problématiques qui nous entourent aujourd’hui encore, où ont cités, au milieu de chef d’oeuvres comme Citizen Kane d’Orson Welles, Bird de Clint Eastwood ou encore L’Herbe rouge de Boris Vian, Les Regrets de Joachim Du Bellay et Si c’est un homme de Primo Levi des oeuvres telles que 1984 de George Orwell, La Machine à explorer le temps de H.G. Wells et Total Recall de Verhoeven et son remake de 2012. Quand on vous dit qu’il y a un glissement…
Mais, fait encore plus intéressant, quand un H.G. Wells est cité pour son oeuvre et que n’apparaissent nulle part les adaptations qui en ont été faites… un Philip K. Dick est cité pour les adaptations faites de son oeuvre et pas du tout pour son travail sur la mémoire. Etonnant ? Je ne pense pas.
Dans les parties suivantes, des spoils sur les histoires des nouvelles et des films seront lâchés, sans quoi mon propos serait difficile à tenir.
Entre résignation et contestation
Rapport Minoritaire (Minority Report) est donc, on l’a dit, une nouvelle d’anticipation science-fictionnelle sortie en 1956 aux Etats-Unis et en 1975 en France.
Elle a pour propos de nous placer dans un univers post-guerre anglo-chinoise où une population traumatisée par des années d’horreurs et de crimes jouit d’une paix sociale apparente dans une société où le crime n’existe plus. En effet, il y a trente ans, à la fin de la guerre, fut fondée Précrime, un service de police préventif qui a pour mission d’arrêter les malfaiteurs en puissances avant qu’ils ne commettent leurs crimes (peu importe la nature de ce dernier). Cela a eu pour effet de faire reculer les taux de criminalités de quasiment cent pour cent. Pour ce faire, Précrime utilise les prévisions de trois mutants, les Précogs, dont les visions de l’avenir sont analysées électroniquement pour fournir les rapports de précrime.
C’est dans ce contexte que le personnage principal, un homme mur en fin de carrière, John Anderton, le fondateur de Précrime, reçoit un rapport de précrime lui indiquant qu’il va lui-même tuer un homme. S’ensuit une course poursuite et une révélation d’un complot militaire visant à discréditer l’agence gouvernementale de police Précrime au profit de l’armée. Face à un choix insoluble entre sa propre liberté et la continuation de l’institution, John Anderton fera un choix : celui de protéger l’institution par son habile sacrifice. Il y a aussi la thématique de la lutte pour son poste avec la concurrence du nouvel agent gouvernemental ambitieux, Witwer.
Le film de Steven Spielberg, qui sort en 2002, reprend une grande partie de ces éléments pour créer une histoire sensiblement semblable. Mais nous allons plutôt nous attarder un instant sur les différences entre le film et la nouvelle, histoire d’essayer de comprendre le pourquoi de cette adaptation. Déjà, exit toute présence militariste. De plus, John Anderton, qui est dans le texte un homme âgé, devient un jeune trentenaire chaperonné par un homme plus âgé qui est, lui, le fondateur de Précrime. Après l’arrivée du rapport, Anderton est également traqué par Witwer mais alors on rentre dans un discours très différent.
La figure de la femme d’Anderton, qui bosse dans la nouvelle pour Précrime et exhorte son mari à se livrer aux autorités, n’est plus qu’une femme qui a perdu son enfant, éplorée après un mari qui part en sucettes (Anderton). Ce dernier, hanté par le souvenir de la mort de son propre fils, est guidé de piège en piège et s’enfonce dans les abîmes d’une crise identitaire (déjà présente dans la nouvelle mais pas sous cette forme) très dickienne.
Dans le film, la plupart des ressorts scénaristiques autour du complot sont gérés en interne à Précrime, qui semble être un monde autonome de la société. Le complot militaire est désormais tenu par le mentor d’Anderton, et une large part de l’argumentaire est construite autour de la perte du fils d’Anderton.
On passe donc d’une fiction écrite en 1956 qui amène à réfléchir sur le monde d’après guerre, notamment l’Europe, sur la période 1945-1955 (environ), qui devint un véritable enfer : après le nazisme, la réponse devait être largement proportionnée et radicalement opposée (les tontes de femmes en France n’en furent qu’un très doux aperçu, c’est dire). Rapport Minoritaire invite donc, avec cette police qui ne s’encombre plus de présomption d’innocence – à la limite, les arrêtés sont présumés coupables – et condamne des citoyens qui n’iraient peut-être jamais commettre le moindre crime.
Dans le film Minority Report on quitte les sphères de l’interrogation du réel. On passe dans une réaction au réel beaucoup plus viscérale et on oublie la réflexion (au sens premier, de reflet) qui faisait la force de la nouvelle. Ce qui fait qu’un film hyper pertinent à sa sortie est aujourd’hui au mieux sympathique, limite gênant. On passe fadement dans du post-11 septembre : Anderton fugitif est appelé Anderton terroriste. Et ce n’est que la surface du problème.
D’une nouvelle tout bonnement anticipatrice, avant tout sociale et où la technologie n’est qu’un moyen pour réfléchir sur le système, comme souvent cela a pu être le cas de la science-fiction – au grand damn de Dick qui rêvait d’une reconnaissance en littérature blanche, d’ailleurs ; reconnaissance qui lui fut toujours refusée -, on passe à un film qui, pour gagner en pertinence, va allègrement – comme Claude – piocher dans l’esthétique du cinéma dit anticipateur. Et nous revoilà avec notre cyber-tendance : dès qu’Anderton, dans le film, est traqué, il disparait dans les méandres affamés d’une ville toute Blade Runner-esque.
Bas-fonds, promiscuité, noirceur, humidité, chirurgiens optiques – intéressant de voir comment les deux passages sont rajoutés dans Blade Runner et Minority Report, où l’on voit des gens jouer avec des yeux, des nerfs optiques, et impossible que ce ne soit pas, sinon un hommage, un de ces points-voûte qui contextualisent pour le spectateur : montrer plutôt que dire -, etc… Tout ça nous plonge dans les méandres de la ville cyber, noire et froide, qui ne pardonne rien.
Mais en 2002, contrairement à 1982 (Blade Runner) ou 1984 (Neuromancien), on est piqué au vif par les attentats contre le « monde libre » : il convient de réagir. Adieu désormais l’engluement dans la ville sale et les filtres verts et bonjour le retour à la campagne bucolique et aux installations et à la ville techno-utopiste du futur. Il faut progresser, dites-donc, ma bonne dame.

Illustrations des feuillets centraux. Dommage, cependant, qu’une édition révisée incluant le film de 2012 n’ait pas été effectuée.
Entre identité et contestation
Et paf, nous voilà sur Souvenir à vendre (We can remember it for your wholesale). Ecrite en 1966 – grosse année pour la SF -, époque bénie des contre-cultures et des consommations excessives de drogues. Et je ne parle bien évidemment pas que de l’ambiance générale, mais aussi du cas particulier de l’auteur, à une époque où son accès à la célébrité ne correspond pas aux attentes qu’il avait formulées.
Dans cet ouvrage on suit Douglas Quail, dit Doug, qui est un fonctionnaire lambda, inexistant dont le rêve est d’aller sur Mars. Sa femme et lui ne pouvant se le permettre, il file en douce un matin, au lieu d’aller au taff, chez Rekal, Incorporated. Cette société possède les brevets technologiques pour implanter/supprimer, les souvenirs d’un individu. Bref, bidouiller sa mémoire. Il décide alors de s’offrir les souvenirs d’un agent secret d’Interplan sur Mars. Sauf que problème, notre bon Douggy Doug a été un agent d’Interplan (sur Mars, aussi) et l’expérience tourne à l’eau de boudin.
La société le renvoie chez lui et il se retrouve en train de perdre la tête – qu’il croit ! En réalité il redécouvre des souvenirs qu’on lui avait effacé – devant sa femme qui n’y comprend rien. Alors que faire ? Simple ! Retourner chez Rekal se faire rafistoler. Sauf qu’au final Interplan le récupère et lui fait comprendre qu’il est un de leurs agents secrets et qu’ils doivent l’éliminer car des infos sensibles ressortent et il ne doit rien en dire. Après une fuite rapide et une négociation par implants – il a dans la tête un traceur qui lui permet de communiquer avec la personne à l’autre bout – il convainc une agence d’espionnage surprenamment coopérative à lui implanter une autre identité, basée sur des désirs plus profonds, qui ne s’effriterai jamais sans quoi ils devront le tuer.
Après le deal, tout le petit monde se rend de nouveau chez Rekal et on lui implante un de ses fantasmes d’enfant, censé remonter profondément dans son inconscient et ne jamais se briser. Pendant l’opération, nouveuux problèmes : ce fantasme d’enfant est chose réelle, aussi – je vous laisse le plaisir de le découvrir dans le texte.
Pour une nouvelle extrêmement courte (une vingt-cinquaine de page, à peine !), il est étonnant de se retrouver avec deux fils oscillant entre le classique 1h45 et le 2h15. Non ?
Pas tant que ça si on prend le plot original et qu’on examine les points de divergence. D’abord avec le premier, celui de Verhoeven et Schwarzy, de 1990. Doug – ici, Schwarzy – est un employé du privé qui ressent le même besoin que le Doug original. Sauf que, quand l’expérience chez Rekal foire, il en fait part à sa femme… qui n’est autre qu’une agente d’Interplan qui doit l’empêcher de griller sa couverture imposée. Elle le prend alors en chasse pendant que lui va filer à l’anglaise.
C’est alors que vont s’enchaîner des événements intéressants mais qui diffèrent beaucoup de la nouvelle d’origine. Doug va enlever le traqueur de sa tête – rappelant une autre scène de chirurgie de la tête qu’il avait interprétée en 1985 dans Terminator avec encore un triturage d’yeux – et prendre la fuite en quête de son identité. Il va se rendre sur Mars, prendre contact avec la Résistance, s’avérer être un espion double -sorte de bi-taupe – et puis en fait non, et puis en fait on sait pas. Jusqu’à la fin que l’on sait, elle, comme n’étant une conclusion pour rien.
Bon, prenons un instant pour poser tout ça. Un instant. Voilà. La fin de la nouvelle disparaît totalement derrière une fiction nouvelle : celle de la découverte de la Résistance contre le système totalitaire du gouverneur actuel. La femme de Doug devient une espionne – il est drôle de voir comme une femme forte dans Rapport minoritaire arrive dans le film à être inutile et comme une femme absolument pas partie prenante dans Souvenirs à vendre arrive à devenir une espionne dure à cuire. Les services secrets d’Interplan passent d’une force neutre à quelque chose de complètement sous l’influence totalitaire du gouverneur.
On croirait l’esprit initial complètement violé : on passe d’une volonté d’oubli pour sauver sa peau (nouvelle) à une volonté de lutte contre le système. Comme on le sait, les glissements thématiques se font lentement dans la culture de masse. Et les interrogations du système des années 1960/1970, complètement battues à blanc par le mouvement de résignation – qui constate seulement et ne réagit plus – du cyberpunk des années 1980, surgissent enfin sur le grand écran en empruntant, une fois encore, à l’imaginaire mis en place en 1982 par Ridley Scott avec Blade Runner.
Soudain, le blockbuster Total Recall devient un outil pour faire entrer la contestation et l’anti-conformisme, qui sera le liant de toutes les années 1990, dans la culture de masse. Procédé simple et naturel de récupération d’une culture de marge pour renforcer le système dominant (les anglo-saxons diraient l’establishement) ; on n’a qu’à regarder la proportion des leaders de mai 68 dans les élites d’aujourd’hui.
Est-ce là pour autant une trahison de l’esprit de Philip K. Dick ? Non pas, m’dame. Les questionnements fondamentaux à l’auteur sont présent : qui suis-je ? Qu’est-ce que ce monde autour ? Quelle réalité croire ? Où me situer ? Autant de réponses auxquelles, habilement, le cinéaste ne répond pas et pour lesquelles il donne également des indices ici et là. L’esthétique cyber est nettement moins présente : bah oui, l’esprit ici est une révolte bien sentie pour ce qui est juste. Ou plutôt contre ce qui ne l’est pas. Pourquoi s’embarrasser trop de cette esthétique macabre et eschatologique ? Mais ça, habile lecteur, tu l’avais deviné.
C’est en 2012 avec le remake, Total Recall : Mémoires programmées, que cette esthétique est largement reprise. Réalisé par Len Wiseman – qui avait beaucoup travaillé avec Roland Emmerich dont le Lemming a parlé ici -, l’homme derrière la saga des Underworld le film est, à l’image de l’oeuvre illustre mentor, d’un consensuel étonnant pour une adaptation de Dick. On retrouve tous les éléments du précédent et arrangés dans le même ordre – c’est le principe du remake, quoi – avec notamment à noter la présence de Kate Beckinsale en brune passionnée : l’un des archétypes préférés de Dick qui ressort ici (comparé à la Sharon Stone blonde de Verhoeven)… sous les traits de la femme du réalisateur (Wiseman et Beckinsale se sont recontrés sur le tournage du premier Underworld). Nul doute que l’anecdote aurait plu à l’auteur ! Tant qu’à parler d’acteurs, mentionnons la présence de Colin Farrel dans ce remake, dans la peau de Douglas Quail, lui qui interprétait le contre-pouvoir issu du système dans Minority Report. Hasard ? Pas sûr.
Seuelement, quelques glissements ont été effectués. On arrive désormais sur une thématique complètement post-apocalyptique, pour coller la mode de pensée du croisement des années 2010. Seuls la zone contrôlée par l’Angleterre (en gros les îles britannique et une partie de l’Europe) sont occupables, ainsi que l’Australie, alias la Colonie. La lutte entre Mars (et la Résistance) et le gouvernement de Londres du premier film est transposée entre la colonie et l’Angleterre.
Et resurgissent, au milieu de quelques très bonnes trouvailles (notamment The Fall, ce transport passant à travers le centre de la Terre), nombre d’inspirations : des robots très I-Robot-esques (adapté d’Asimov), une résistance très V for Vendetta-tesque (notamment cette Angleterre totalitaire, adaptée de Moore, autre pope de la contre-culture)… et bien sûr les deux cyber-esthétiques : la techno-utopie (l’image de l’Angleterre) et la fatalité des rues du cyberpunk à la Blade Runner. De quoi accréditer les thèses sociales de Mike Davis que nous avions évoquées dans l’article précédent. Une explication ? 2012, dix ans après des guerres, des pintemps arabes, des révolutions pacifistes… toutes inefficaces, laissant présager d’une désillusion nouvelle qui menace de s’abattre sur toute une décennie. Mais, entre récupérations et glissements culturels, où sont passées les thématiques dickiennes dans tout ça ? Toujours présentes, bien qu’aseptisées (non mais c’est quoi ce happy ending ?).

Trois ouvrages, deux romans et deux nouvelles, 4 films et une série qui promet d’être un succès. Philip K. Dick, c’est aussi un monstre de l’écran.
Déjà-vu ?
Avant l’écriture de l’article, j’avais gribouillé mon plan sur un coin de calepin et j’avais noté, pour les parties deux et trois, la même indication pour me rappeler quoi écrire. Cette phrase était la suivante : « livre opposé film dans message contestataire + Downtown cyber. » Maintenant qu’on a pu en parler, c’est beaucoup moins nébuleux, étonnant, intriguant, n’est-il pas ?
Ce qu’il reste au final c’est une sensation légitime de déjà-vu. De se dire : mais est-ce que c’est encore une autre de ces réalités dickiennes qu’on nous propose, ou bien une resucée des codes classiques des anticipations pro-système ? C’est un phénomène normal, cyclique, socialement explicable et compréhensible que ces récupérations et accaparements des contre-cultures par les systèmes en place.
C’est ce que nous vivons au jour le jour. Mais qu’en est-il quand cette récupération est utilisée à des fins idéologiques, comme ce fut le cas avec la tentative de putsch sur le Prix Hugo 2015 par les extrêmes droites américaines ?
Une question à laquelle, malheureusement, le petit magicien barbu de Californie n’aura pas pu répondre.
Et n’oubliez pas la campagne de crowfunding pour l’organisation du Colloque du Héros !
Vil Faquin
Du même auteur : Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? / Blade Runner,
Le Maître du Haut Château.
A voir : Conférence sur Blade Runner avec Raphaël Colson.
De Steven Spielberg : Jurassic Park, Cheval de Guerre, Empire du Soleil
et Indiana Jones 4
Sur le cyber : Un avenir qui nous échappe & Un avenir retrouvé, Cyberpunk – 1988
Neuromancien, Inner City, La Voix brisée de Madharvaet Au-delà de Blade Runner.
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