La Fenêtre de Diane

La Fenêtre de Diane

Dominique Douay

Finaliste du Prix Exégète 2016

Cela faisait bien trop longtemps que j’avais l’ouvrage de Dominique Douay sur mes étagères et que je devais prendre le temps de le lire. Bon, ça c’était il y a bien six mois.

Depuis, l’ouvrage est lu, mais je n’arrive pas à trouver quoi en dire. Ou plutôt si : j’ai énormément à en dire mais je ne sais juste pas comment tourner tout ça.

Et puis est venu le temps du premier juillet, celui où l’on annonce fébrilement les finalistes du Prix Exégète et où l’on se dit que, flûte, quoi qu’il arrive, on ne peut pas ne pas y faire figurer La Fenêtre de Diane.

Du coup, comme dirait Karadoc : « Eh ouais mémé, t’es bien mouchée ! » et on est obligé d’en faire un article, que l’on aimerait absolu et conséquent tant l’ouvrage dépasse par sa portée bien des autres sur lesquels nous nous sommes répandus ici.

« Et toc, remonte ton slibard, Lothar ! » conclurait alors Perceval.

39 ans les séparent et pourtant...

39 ans les séparent et pourtant…

Le Temps du Livre

Le goût des choses simples, comme disent les commerciaux de chez Herta, c’est un peu ouvrir un beau livre. Enfin un bon livre. Pour moi c’est surtout ouvrir un vieux bouquin, une vieille édition des J’ai Lu SF aux pages rouges et à la saveur intérieure surannée et aux odeurs de papier sec. Et disons qu’avec La Fenêtre de Diane, dès les premières pages, j’ai ressenti le poids des ans qui venait réinstaller sa saveur si particulière sur mes chétives épaules d’avide lecteur.

Mais ne t’y trompe pas, habile lecteur, le poids des ans ne m’a pas submergé. Il a seulement sublimé la lecture.

Revenons à nos moutons – électriques ! LOL – et à l’idée d’ouvrir un beau livre. C’est ce qu’il se passe quand on ouvre pour la première fois La Fenêtre de Diane. Comme à l’habitude avec les ouvrages publiés chez Les Moutons électriques, nous avons à faire à un ouvrage travaillé et soigné. Comme pour Un éclat de givre d’Estelle Faye, nous avons le droit à une couverture rigide recouverte d’une jaquette et laissant apparaître une classe elle aussi injustement surannée. Quoique le travail sur la jaquette – réalisée par Sébastien Hayez, qui avait déjà signé la couverture de Mythe et Super-Héros d’Alex Nikolavitch, chez les mêmes Moutons Electriques (ainsi que plusieurs autres couvertures d’ouvrage que je n’ai pas encore exploré) – fut remarquable et rende – pour une fois – justice à l’ouvrage et à son texte, j’avoue avoir un monstrueux penchant pour la couverture intérieure sobre. La Fenêtre de Diane est un livre intérieur et la fenêtre sur la jaquette l’ouvre aux autres. Or, l’enfer, c’est les autres. #CQFD

Bref, plus d’un an après l’intervention en édito d’André-François Ruaud sur nos terres, il est agréable de voir que le soin apporté aux ouvrages de la maison continue à être d’une telle qualité. En tout cas pour ce qui est de la gueule des ouvrages. Parce que, même si c’est rare dans les presque 300 pages de l’ouvrage, nous retrouvons encore quelques coquilles et il faut signaler que, cette fois, elles sont relativement peu nombreuses. Pourvu que ça dure, comme on dit !

Pour rester sur l’édito sus-cité, le grand manitou des Moutons électriques avait alors fustigé la non prévoyance des éditeurs français de ne pas plus s’appesantir sur le livre numérique. Ce qui n’est pas complètement faux, hormis peut-être Bragelonne, qui sert désormais de référence absolue sur les questions de livre numérique pour les grands éditeurs de littérature blanche (pas étonnant que Hachette lorgne dessus). Toujours est-il que j’avais demandé à l’éditeur ovin de me faire parvenir le format .epub de La Fenêtre de Diane, ce qu’il a gracieusement accepté de faire.

Je me suis donc retrouvé à lire l’ouvrage pour moitié en numérique et pour moitié en livre physique. Pourquoi ? Parce que j’aime transporter mes bouquins. Et quand, chaque jour, vous devez transporter votre pécé, un clavier ergonomique pour écrire, son alim’, vos dossiers en cours et votre casse croûte du midi, sans compter l’indispensable gourde d’eau fraîche que les températures actuelles justifient totalement, et bien vous comprenez vite que les grands formats type Moutons électriques vont prendre cher. D’autant que vous apercevez vite que les fermeture de votre sac de randonnée de 25 litres craquette et fait la gueule, alors que vous avez fait toute votre faculté avec et des dizaines de colos, concerts, festivals, sans jamais qu’elle ne récalcitre. Alors vous envisagez 5 minutes votre ouvrage. Pris d’une illumination grandiose, vous en retirez la jaquette de peur de l’abîmer dans le sac et vous retentez l’expérience. Chuintements et crissements des dents d’acier.Vais-je devoir prendre mon sac à dos de randonnée de 75 litres pour que tout tienne ?

Alors déjà : non. Il fait trop chaud pour manger de toute façon. Toutes ces questions me permettent de faire croire que je vous raconte quelque chose d’intéressant alors que non, soyons clairs. Ensuite, la question du grand format enfourné dans un sac reste. Même sans jaquette, les coins se cornent et s’usent et la reliure, à force d’être soumise à bien des tensions, se déforme. En même pas 8 jours.

Et une liseuse, ça tient dans la poche arrière du jean, ça reste quinze jours en veille sans sourciller, ça vous envoie sur la page wikipedia d’un nom propre sur lequel vous n’avez pas les connaissances nécessaires et ça ne pèse rien. Dans des cas comme celui-ci, le choix est vite fait.

La liseuse, qu’on le veuille ou non, est un outil merveilleux. Elle présente des atouts que n’auront jamais les beaux livres de nos étagères poussiéreuses. Non ? Vous n’étiez pas à mon déménagement alors pouet pouet camembert, pour paraphraser dignement (mais poliment) ce gros tocard de Finkelkraut (cliquez, vous allez vous amuser). Bon. Ceci étant dit je trouve bien dommage que la loi française interdise malheureusement la vente du livre numérique en même temps que sa version physique (comme c’est désormais le cas avec les disques), ce qui oblige à raquer deux fois quand on ne veut pas abîmer son grand format. Le numérique pourrait avoir de beaux jours devant lui, mais il est sapé de l’intérieur et c’est bien dommage.

En résumé : lisez La Fenêtre de Diane 50% du temps avec la jaquette, 50% du temps sans la jaquette et 50% du temps en numérique. Comme ça tout le monde sera content. Sauf les mathématiciens.

Avec ou sans jaquette, ce livre est beau. A moins que ce soit la chatoyance à nulle autre pareille de Dijon qui fait cet effet-là.

Avec ou sans jaquette, ce livre est beau. A moins que ce soit la chatoyance à nulle autre pareille de Dijon qui fait cet effet-là.

Le Temps de la science-fiction

On va essayer de faire simple et en même temps je sais que ça va être compliqué. Dominique Douay nous livre avec La Fenêtre de Diane un compte-rendu de quarante années d’écritures et de questionnements sur la vie, la mort, l’univers et ce genre de choses.

Revenons d’ailleurs cinq minutes sur le bonhomme. Monsieur Douay (si si, il faut l’appeler Monsieur) est auteur d’un nombre assez important de nouvelles, dont Thomas qui remportera le Grand Prix de l’Imaginaire en 1975, et est avec plusieurs autres auteurs, et notamment Jean-Pierre Andrevon, le fondateur de la collection Fictions aux éditions de La Découverte, celle-là même qui apporta en France le mouvement cyberpunk si cher à mon petit coeur avec notamment Neuromancien de Gibson. D’abord fonctionnaire au Trésor Public, lié dès le départ au Parti Socialiste (via l’hebdomadaire Drôme-Demain, qu’il dirige), il sera ensuite membre du cabinet du Ministre de la Communication sous Mitterrand. Au cours de sa vie il sera magistrat à la cour des comptes, maître de conférence à l’IEP de Lyon ou encore formateur d’élus locaux en Europe de l’Est et en Afrique (via la Fondation Jaurès). Il revient enfin à l’écriture en 2014-2015 avec d’abord un court roman basé sur une nouvelle pour les Moutons, Car les temps changent, puis un premier « vrai » roman depuis 1990 (La fin des temps et après) en 2015 : La Fenêtre de Diane.

Si, à ce stade de l’article vous vous demandez pourquoi je m’attache au CV du monsieur de la sorte – et dans la seconde partie du billet en plus, insensé ! – ne quittez pas, je vous recontacte dès que possible. Sans rire, certains des éléments de la vie de Dominique Douay ici présentés sont tout simplement primordiaux quant à la compréhension d’une partie du bouquin.

En effet, La Fenêtre de Diane veut nous narrer des passages de vie de Gabriel Goggelaye, un mec lambda, rasoir et pas fun. Pourtant ce brin de type semble intéresser grandement un bon nombre de pointures puisque sinon, je ne vous en parlerai pas. Ce type nor-mal exerce plusieurs métiers dans sa vie, notamment secrétaire ministériel d’un ministre de la communication, puis chargé de mission auprès d’élus en Africe Noire ou encore par l’Union Européenne en Roumanie. Ca vous dit quelque chose ? Bon. Mieux encore, la façon de l’auteur de nous introduire son personnage est de nous plonger au coeur de la journée du 2 mars 1982, date du décès de Philip K. Dick, plusieurs fois mentionné dans l’ouvrage et duquel ses éditeurs ont dit de Dominique Douay qu’il en était extrêmement influencé.

L’intrigue de La Fenêtre de Diane se déroule à plusieurs échelles. A une échelle cosmique d’abord, dans laquelle une Eglise dogmatique, vénérant le Livre, veille à la destinée de tous les mondes dont les destins sont consignés dans les différents brins du Livre. Ensuite à une échelle plus locale où on se concentrera sur un monde qui, au milieu des années 1990, attend les nuées noires de la destruction. Enfin, à l’échelle d’un individu particulier. Bref, Goggelaye – qu’on imagine avec un tel nom myope comme une taupe neurasthénique – dispose d’une capacité particulière qui le rend intéressant. Il est capable d’effectuer, par la pensée, des glissements entre différents brins du Livre et donc de faire apparaître comme bon lui semble des éléments d’autres possibles dans sa propre réalité ce qui est, convenons-en, hyper pratique quand on oublie le cadeau d’anniversaire de la personne qui partage notre vie. Je résume ici grossièrement.

Après une manipulation risquée et foireuse d’un Marque Page – sorte de machine permettant d’explorer les différents brins et d’en prendre note -, plusieurs veilleurs cosmiques se retrouvent prisonniers sur ce monde voué à la destruction et se demandent donc comment en repartir. Il n’y a qu’une seule personne digne d’intérêt que Diane, une intelligence artificielle étroitement liée au Livre, pense être capable de leur venir en aide. S’ensuit ensuite une exploration profonde de la vie dudit Gabriel Goggelaye… lequel vit sa vie de petit bureaucrate selon une concordance temporelle totale avec la vie de l’auteur : début des années 1980 au ministère de la communication, années 1990 en Afrique Noire puis en Europe de l’Est… Nous avons donc droit à des passages assez savoureux de parcours de régions africaines en bus pour s’arrêter dans des coins improbables ou d’explications politiques de l’ex-Roumanie des Ceausescu avec une précision qui tend à rendre toute fiction politique inopérante. Enfin presque. On y retrouverait presque le goût des vieux textes de science-fiction écris par les auteurs socialistes progressistes des années 1970… Hum, wait a minute!

J’ai dit concordance temporelle ? Oui, parce qu’avec sa capacité à altérer la réalité des brins, Goggelaye a également une capacité à influer sur le monde. Et c’est pour ceci que les veilleurs cosmiques, comme je les ai surnommés plus haut, décident d’observer plusieurs passages de sa vie. Nous avons donc tour à tour à faire à des chapitres prenant place dans des époques différentes de la vie de l’homme. De plus les narrateurs et les points de vue sautent régulièrement et le personnage central lui-même semble parfois changer en cours de lecture de façon d’appréhender l’univers.

L’auteur nous perd alors dans un dédale pourtant très limpide de faits et d’opportunités que nous avons à saisir pour répartir nos impressions de lecture. Cette façon d’écrire, qui me semble directement héritée des années 1970 et de la frange francophone de la science-fiction de l’époque, amène nécessairement plusieurs niveaux de lectures dont certains sont les suivants :

  • un niveau métaphysique, incluant une réflexion sur la religion et la place du monde dans le cosmos,
  • un niveau complètement autobiographique reflétant une certaine rétrospection, à défaut d’introspection;
  • un niveau politique entre un moment d’épanouissement et les brumes noires de la fin du monde (quel mandat s’arrête en 1995 et lequel commence ?)
  • un niveau science-fictif de jeu sur le continuum temps et la relativité des sensations,
  • un niveau totalement dickien, pas introspectif mais anxiogène sur la place de l’individu dans le monde.

Alors peut-être que l’auteur, en lisant ces mots, éclatera d’un grand rire et me postera en commentaire : « Mais lol, Faquin, t’as fumé ou bien ? » et peut-être aura-t-il raison si je fais fausse route. Ou peut-être pas. Après tout une lecture ne laisse-t-elle pas un goût particulier en chaque lecteur/lectrice ? Ce goût que La Fenêtre de Diane me laisse est celui d’une oeuvre de fin de carrière – non pas que Dominique Douay arrête là, d’ailleurs je sais de source sûre que son prochain roman est déjà chez l’imprimeur et on ne peut que s’en réjouir – un peu comme Le Marteau de Dieu avait pu l’être, à mes yeux, pour Arthur C. Clarke, c’est-à-dire une oeuvre d’un maturité évidente qui pourtant garde l’oeil frétillant et taquin des premières armes.

C'est aussi ça, la saveur surannée de la sf française : un chapitrage épileptique.

C’est aussi ça, la saveur surannée de la sf française : un chapitrage épileptique.

Le Temps de le lire

La Fenêtre de Diane me fait énormément penser à un autre bouquin de Dominique Douay – que j’aurais pu appeler DoDo pendant tout ce papier, mais vous remarquerez avec satisfaction que je m’en suis abstenu – que j’avais lu plus jeune : L’échiquier de la création, datant de 1976. Trente-neuf ans avant La Fenêtre de Diane, il nous offrait un autre texte d’une métaphysique rare au travers duquel il nous offrait également une plongée dickienne à la recherche d’identité de chacun, de l’être le plus insignifiant aux Tout-Puissants. Etonnant ? Pas tant que ça. Mais il faudrait que je relise ce vieux classique de chez J’ai Lu pour en sortir quelque chose, tant ma première lecture remonte.

Ce n’est peut-être par pour rien que, quand aux Intergalactiques 2015 j’avais demandé à l’auteur de me faire une griffe sur L’Echiquier de la Création et sur La Fenêtre de Diane il m’avait écrit sur le premier « Un livre venu du fond des temps » et sur le second « Une fenêtre pour enjamber le temps. » Ca, ou alors je vois des parallèles cupilotractés* partout.

Pour en revenir à La Fenêtre de Diane, sa nomination comme finaliste du Prix Exégète n’a finalement rien d’un hasard. Un roman d’une telle maturité et d’une telle force métaphysique et philosophique, seule la science-fiction française a pu en produire par le passé et, malheureusement, seulement par le passé. Avec des aspects très récents et très efficaces, l’écriture de Dominique Douay arrive à nous transporter dans les pages d’un bouquin existentialiste des années 1970 ou du début des années 1980 tout en nous plongeant paradoxalement dans une expérience de vie postérieure. Un paradoxe en soi !

Et c’est en tout cela – et bien plus tant je suis persuadé de passer à côté d’une bonne partie de la moelle de l’ouvrage – que vous vous devez de le lire, si ce n’est pas déjà fait. Plus qu’un chouette livre, c’est un manuel que Diane vous propose.

Vil Faquin

Cupilotractés* : tirés par les poils du cul.