Y F’rait beau voir – Chroniques des Nouveaux Mondes

Chroniques des Nouveaux Mondes

Jean-Marc Ligny

Des Chroniques de la Lune Noire aux Chroniques des Raven, les dieux savent que les littératures de l’imaginaire sont remplies d’une volonté chronicatrice – je suis sûr que ça se dit – parfois jusqu’à l’encombrement. Bien souvent, d’ailleurs, force est d’admettre que la plupart de ces chroniques ont pour cadre un univers qu’on pourrait qualifier de fantasy.

Sur le ouèbe aussi, on peut voir que cette sur-abondance de « chroniques » à tous les coins de clic est sans limite. Les Chroniques de Mi (blog), les Chroniques de Bi (vlog), Chroniques « à-peu-près-exactes » de Si (actu), Chroniques d’un Boui (politique)… tout se chronique partout et par tous. Il m’arrive également de parler de chroniques pour mes papiers digitaux.

Pourtant on oublie souvent que, comme pour toute chose, il existe certains esprits taquins qui aiment prendre à rebrousse poil les lies lieux communs pour mieux les réinventer. Et c’est exactement le cas aujourd’hui avec ces Chroniques des Nouveaux Mondes signées de l’infatigable Jean-Marc Ligny, dont nous avions déjà découvert la version remaniée d’Inner City lors de notre escapade cyberpunk.

Un beau triptyque bien bleu comme le fond de tes yeux… wouhou ♪♫

Mais que sont les Chroniques des Nouveaux Mondes ? Il s’agit d’une série de nouvelles et de courts romans parus d’abord indépendamment entre 1980 et 2010, soit déjà près de trente ans. En faire la liste exhaustive serait compliqué mais nous pouvons dire ceci : une grande partie du corpus a été publiée à l’orée des années 1990 dans la célèbre collection Anticipation de Fleuve Noir. Un premier focus sous forme de recueil a été publié en 1991 toujours chez Fleuve Noir Anticipation avec Le Voyageur Stellaire. Ce sont finalement les éditions ActuSF qui finiront par mettre sur pied les trois recueils qui constituent aujourd’hui le seul – et c’est bien triste – corpus grâce auquel partir à la découverte des nouveaux mondes : Le Voyageur Solitaire (2008), Les Chants de glace (2009) et Survivants des Arches Stellaires (2010), tous trois illustrés par Thomas Brechler, dont je n’ai trouvé trace nulle part ailleurs. Ce sont les trois ouvrages à partir desquels je vais tenter de vous proposer 5 bonnes raisons de faire votre premier pas dans les Nouveaux Mondes :

  1. Les Chroniques des Nouveaux Mondes elles-mêmes sont l’argument principal pour lequel vous devriez vous lancer dans leur lecture. Pourquoi ? Tout simplement parce que, même si le projet a mis plus d’une dizaine d’année à émerger et qu’il a été à plusieurs reprises mis entre parenthèses, ces chroniques sont bel et bien un projet global. Initialement Jean-Marc Ligny voulait voir ses textes inspirés par les travaux de l’artiste Jacques Lelut, dont le travail lunaire sur la mise en espace et en volumes des univers science-fictionnels a fait tourner la tête de bien des auteurs (Jodorowsky, notamment). Ce sont ses réalisations (il est l’auteur d’un vaisseau spatial de plus de vingt mètres, Faust, ou encore de son propre astroport dans une usine désaffectée) qui ont lancé Jean-Marc Ligny sur la trace des Nouveaux Mondes, à vouloir en raconter l’histoire, celle de notre futur, de ce qu’il se passera demain.
  2. A défaut de demain, réclamons hier. Voilà une belle pensée qui pourrait vous traverser l’esprit avant d’entreprendre le grand voyage des Nouveaux Mondes. Ces derniers sont en effet un morceau d’histoire de la science-fiction française qui s’est écrit et s’écrit encore sous nos yeux. Le travail à la fois d’un auteur mais aussi d’éditeurs et d’autres artistes (on a vu dans le premier point le côté trans-médiatique du projet) qui reflète l’évolution des mentalités et des centres d’intérêt à travers trois décennies. Des focus sur les arts, sur la musique (on sait que Ligny aime ça avec son livre sur le groupe Dead Can Dance La Mort peut dancer), le transhumanisme, les contre-cultures, la beauté du vide, les problèmes d’intégration, l’intelligence artificielle… On est loin de la recherche de simplicité qu’on peut parfois croire, chaque texte ouvrant de beaux horizons ou les présentant sous un nouveau jour.
  3. C’est ce mélange des genres entre onirisme, space-opera, lutte adolescente d’identité, musique relents punks, détours par l’horreur ou le surnaturel qui font qu’on a réellement plaisir à toucher du doigt les Nouveaux Mondes dont Jean-Marc Ligny entend nous faire parvenir les Chroniques. Et, parfois, au détour d’une page, on trouve de petits bonheurs de lecture qu’on qualifiera volontiers de boutades, d’astuces ou d’easter-eggs qui font le charme de l’auteur. Ainsi nos personnages vont à la Foire du Drone (astuce sur la Foire du Trône, bien sûr), un (an)droïde est un modèle Nexus IV (on se souvient des Nexus VI des Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? / Blade Runner), nous sommes amenés à traverser les planètes Tatooine et Tralfamadore (références à une planète de Star Wars et à une autre de l’univers de l’écrivain Vonnegut), la ville Argyre donne par son simple nom une ampleur stellaire à la géographie du récit (voir le bassin d’impacts Argyre Planitia, sur Mars), certains personnages nous parlent, relents du passé intradiégétique, comme le casse-cou de l’extrême Dard DeVille (coucou Matt Murdock) ou encore Al-Azred en référence à l‘auteur du fictionnel Necronomicon dans l’univers d’H.P. Lovecraft. Toutes ces références sont sans cesse assumées ce qui donne une dose d’honnêteté saisissante à une série de textes qui se renvoient sans cesse la balle.
  4. Parmi eux, La Guerre des Trois Secondes est probablement le plus abouti et le plus bouleversant. Cette nouvelle du deuxième volume des Chroniques des Nouveaux MondesLes Chants de glace, nous raconte comment une espèce extraterrestre, les Pleiadim, a, pour le plus grand bien de l’Humanité, exterminé en 3 secondes plus de 70% de la population terrestre. Un traumatisme béant et d’une violence inouïe s’ouvre alors dans la conscience collective d’une humanité (terrestre et extra-terrestre, d’ailleurs) médusée qui partira, dans les années suivantes conquérir massivement des centaines de planètes lors du Grand Exode. Rien qu’à travers ce rapide portrait d’une nouvelle parmi les douze que contient la série vous pouvez sentir le vertige fantastique de ce dont témoignent toutes ces nouvelles : la mémoire de notre futur.
  5. Un futur dont la cohérence, malgré les premières impressions, est à toute épreuve. En effet, dans les premières nouvelles, les temporalités et les lieux changent puis, au fil de votre lecture, vous retisserez naturellement des liens mentaux entre chaque nouvelle. Tel personnage futuro-historique de telle nouvelle sera le protagoniste d’une autre, tel événement faisant l’objet d’une nouvelle servira ou a déjà servi de background. Enfin, avec ses Repères historiques et son Lexique de fin de troisième tome, Jean-Marc Ligny prouve que l’ampleur de son projet avait été mesurée pour en arriver exactement là où il le désire. Le lexique arrive après la guerre, comme le veut l’expression, mais c’est seulement parce qu’il n’est pas nécessaire : certaines informations nous sont justes incompréhensibles (des anagrammes notamment) parce qu’elles ne sont pas nécessaires à la compréhension globale. Le tout se justifie à merveille avec ce ton d’âge d’or de la science-fiction qui ressort toujours au détours d’un paragraphe.

Hopla ! Je vous disais que j’avais des infos de source sûre !

La traversée des Nouveaux Mondes se poursuit après ces trois recueils dans deux romans : La Saga d’Oap Tao et Les Oiseaux de Lumière sur lesquels nous aurons largement l’occasion de revenir. Mais, de parole d’éditeur, c’est loin d’être la fin de ces oniriques univers car l’auteur les travaillerait encore à l’heure où cette chronique ce billet sont enregistré sur mon hébergeur.

Pour conclure sur les Nouveaux Mondes, je n’arrive pas à comprendre comment certains adeptes du genre ont pu passer à côté de la grandiose fresque proposée par Ligny. Quand je lis par exemple sur Noosfere (copié de Bifrost 62) que, citons-les, « à l’heure de faire le bilan, on a envie de dire que la montagne a accouché d’une souris » parce que le sense of wonder attendu n’est pas au rendez-vous… Well, je reconnais volontiers certaines faiblesses littéraires mais il est cependant dommage de prêter des intentions à un texte quand l’auteur n’essaie même pas. Les Nouveaux Mondes, et leurs Chroniques, ont un côté très intimistes qui m’a personnellement emporté au loin pendant plusieurs soirées d’avide lecture.

Et je gage que vous serez nombreux à vous faire happer.

Vil Faquin

Du même auteur : Inner City.

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