Notre-Dame-aux-Ecailles

Notre-Dame-aux-Écailles

Mélanie Fazi

A lire en écoutant ça.

Il y a à peine un mois, je découvrais Mélanie Fazi au travers de son premier recueil de nouvelles, publié en 2004, Serpentine. En fin d’article, je m’étonnais :

Mais pourquoi ? Pourquoi j’ai attendu si longtemps avant de découvrir cette auteure dans le texte ? Quelque chose me dit que je ne suis pas le premier à me prendre un KO en 25 pages.
Toujours est-il que c’est chose faite et que, désormais, je puis vous assurer que vous allez revoir l’auteure incessamment sous peu sur les flux multimodaux de la Faquinade.

Alors, considérez bien, habiles lecteurs, que cet « incessamment sous peu« , c’est maintenant. Et, tout comme l’article sur Serpentine avait lancé en fanfare le mois de la nouvelle – Août, c’est nouvelles coûte que coûte ! -, je compte bien sur Notre-Dame-aux-Écailles pour lancer un tout nouveau mois à thème !

En effet, A Tire d’Elles est un événement qui aura lieu régulièrement sur La Faquinade avec pour but de mettre un coup de projecteurs sur les auteures des littératures de l’imaginaire, notamment françaises (mais on ne se refusera rien). Et quoi de mieux, dans ce cas, pour lancer les rotatives, que de débuter avec celle qui, sur une thématique précédente, vient de réaliser le plus grand nombre de consultations depuis le Prix Exégète ?

Je vous le demande bien.

Des yeux de beauté perdue qui vous percent les sangs. Parfait pour Notre-Dame.

Des yeux de beauté perdue qui vous percent les sangs. Parfait pour Notre-Dame.

Notre-Dame-aux-agrégats

Comme avec Serpentine et les autres recueils que nous traitons ici, il convient de s’arrêter un peu sur le parcours des textes qui ont finalement atterri dans le recueil. Mais, juste avant, je vais rapidement préciser que nous ne reviendrons pas sur le travail et le parcours de l’auteure, qui était détaillé dans la première partie de notre précédent article. De même, nous passerons très vite, en survolant seulement le cas de l’illustration, encore une fois signée de Bastien L. et qui colle à a fois au recueil, au style de l’auteure et à l’ambiance qui se dégage des textes et des éditions poches elles-mêmes.

Notre-Dame-aux-Écailles, donc, est paru en 2008 aux éditions Bragelonne et en poche dans la collection Folio SF en 2011 et contient 12 nouvelles dont pas moins de la moitié ont déjà connu des éditions précédentes, comme il est courant dans ce genre de situations. Avant de revenir sur ce point, notons que le recueil a obtenu le Prix Masterton en 2009 et que la nouvelle des Noces d’écume a quant à elle obtenu le Prix Merlin la même année. Soit dit en passant, avec Mélanie Fazi, autant vous y habituer, ce genre de distinctions s’enchaînent. Revenons donc à nos premières publications :

  • La cité travestie était paru en 2002 dans l’anthologie Venise Noire dirigée par Léa Silhol pour l’Oxymore (coll. Emblèmes), dont on rappelle en passant qu’il s’agit là du premier éditeur de l’auteure pour Serpentine (2004), avant Bragelonne (2008).
  • En forme de dragon a été publié pour la première fois en 2003 par Nestiveqnen (premier éditeur de l’auteure, avec Trois pépins du fruit des morts) dans Rock Stars dirigée par Patrick Eris, traducteur de métier et notamment des épisodes II et III de Star Wars, et dont l’illustrateur, Philippe Caza, a récemment officié sur Star Ouest). Anthologie dans laquelle officiait notamment Michel Pagel.
  • Les Cinq soirs du lion est paru en 2006 dans Le Monde 2, une revue du journal Le Monde.
  • Villa Rosalie a été publié pour la première fois en 2006 dans la revue Fantasy de Bragelonne en 2006. Elle y côtoie de grands noms français ou anglo-saxons.
  • Le Noeud cajun est sorti lui très tôt, en 2000, dans l’anthologie De Minuit à Minuit, dirigée par Daniel Conrad chez Fleuve Noir, celle-là même où la nouvelle Angie Mon Ange de Francis Valéry (Un rêve mandarine) est premièrement sortie. Daniel Conrad avait également dirigée deux autres anthologies dans lesquelles des textes de Mélanie Fazi, aujourd’hui dans Serpentine, s’étaient retrouvés (voir).
  • Notre-Dame-aux-Écailles (nouvelle éponyme) est également sortie dans la revue Fantasy de Bragelonne mais en 2005.

Plusieurs choses sont à noter d’emblée. D’abord, pour 3 de ces 6 textes, ils ont été publiés initialement en même temps, ou presque, que les 3 textes déjà publiés et réédités dans Serpentine, mais nous y reviendrons. Ensuite, une fois encore, on relève un bon nombre d’entrecroisements de parcours. Entre Conrad, Valéry, Fazi, Pagel… ce qui tendrait à mettre en évidence une fois encore la solidarité du milieu, dans un premier temps, et ensuite l’importance du réseau qui permet de collaborer sur plusieurs projets et de se frotter à des auteurs expérimenter, d’accoler son nom à d’autres prestigieux… Il serait vain de dresser une liste des auteurs croisés (de manière indirecte) dans ces recueil par la jeune auteure Mélanie Fazi d’avant 2004. Ensuite, après avoir sorti Arlis des forains chez Bragelonne, à la fermeture des éditions de l’Oxymore, Mélanie Fazi a participé à la revue annuelle de l’éditeur (réservée aux auteurs de l’éditeur), dans laquelle ses textes ont également pu s’approfondir et dans laquelle, en 2006, elle apparaissait aux côtés de Gudule, auteure à qui elle dédicace l’une de ses nouvelles (Le Langage de la peau) dans ce recueil.

Enfin, au niveau des relations et contacts, arrêtons-nous un instant sur sa collaboration avec Patrick Eris, qu’elle a retrouvé en 2013 dans le collectif The Deep Ones, un regroupement d’auteurs de SFFF qui se produit sur scène et dans lequel on compte notamment l’inénarrable et halieutique Lionel Davoust. Comme quoi, on dit bien que la vie est faite de rencontres.

Une dernière chose sur la constitution du recueil, qui reprend pour moitié des nouvelles déjà publiées, et pour certaines relativement anciennes : il est d’une incroyable homogénéité et toutes les nouvelles qui sont des secondes publications sont là en support d’une architecture finement ouvragée qui traduit, sans vraiment s’éloigner, une réelle évolution dans l’écriture de l’auteure. Mais ça, on y vient tout de suite après.

Parce que les grands espaces de Savoie me semblaient propices pour une telle lecture. Et puis en fait non.

Parce que les grands espaces de Savoie me semblaient propices pour une telle lecture. Et puis en fait non.

Le noeud Fazi

Qu’a-t-on donc dans Notre-Dame-aux-Écailles ? 6 nouvelles republiées, 6 nouvelles inédites, alors que dans Serpentine, pour 10 nouvelles, seulement 3 étaient des republications (mais sorti 4 ans plus tôt dans une carrière d’écrivain alors naissante), pas mal de thèmes communs. Et pourtant le ressenti de la lecture laisse le vil faquin que je suis tout chose. Ca a changé. Et je dis « ça » parce qu’à première vue, c’est assez flou, ce glissement qui s’est opéré à notre insu. Je m’explique.

Je le disais juste en conclusion de la partie précédente, un équilibre est trouvé entre republications et inédits. Cet équilibre est simple, quand on se penche sur le sujet : le recueil est porté à bout de bras par trois textes : Train de nuitLa danse au bord du fleuve et Fantômes d’épingles. Dans ces trois textes, les personnages (on retrouve d’ailleurs l’omniprésence du « je » et de la narration à la première personne dans le recueil, comme dans le précédent) sont chaque fois appelés à faire face à des choix. Et pas « pâtes ou riz ? » comme tout bon étudiant chaque midi. Des choix de vie qui pourraient se résumer ainsi : fuite en avant ou rester et faire facese défiler ou affronter ses peurs. Et, là où dans Serpentine, on se serait plus volontiers attendu à une fuite éperdue, que la jeunesse entraînerait vers un lendemain en pointillé, Notre-Dame-aux-Ecailles nous propose le cheminement d’individus qui décident, quoi qu’il leur en coûte, de redresser l’échine, même si l’hésitation existe parfois encore (Train de nuit). C’est également le cas du personnage central, sans être le narrateur, de Noces d’écumes, mais ce texte porte en lui une autre force dont parlera plus tard.

Les personnages suivent donc un autre trajet. Désormais, ils se préparent à l’affrontement avec ce qui les ronge. Et cet affrontement, pour qu’il soit envisageable, doit avoir lieu dans un endroit spécifique. Familier. Rassurant ou que sais-je encore. Du coup, exit les espaces ouverts de Serpentine, les cheminements dans des imaginations débordantes, des tatouages volés à de multiples vies, des autoroutes ou des ruelles vides la nuit. Bienvenue dans une cité oppressante qui coupe tout échappatoire (La cité travestie), dans une maison qui phagocyte ses occupantes (Villa Rosalie), ou face à une étendue indomptable (la mer de Noces d’écumes) dont l’on craint l’imprévisibilité et la sauvagerie. L’espace autour des personnage de se referme et l’ailleurs est l’inconnu, l’étranger. Un exemple ? Là où dans Serpentine, une nouvelle comme Le faiseur de pluie concluait sur un éternel appel vers l’ailleurs, l’au-delà du lieu connu, dans Notre-Dameè-ux-Écailles nous propose son Mardi Gras dans lequel l’au-delà du lieu connu (le carnaval de La Nouvelle Orléans) est un danger, un elsewhere qui terrifie. En forme de dragon nous propose aussi un espace réduit, une cloison murale ou une porte qui renferment en elles à la fois l’angoisse et l’espoir.

Mais si ces lieux sont fermés, distincts, oppressants, comment peuvent-ils se répondre, interagir ou simplement survivre ? Et bien tout ne tient qu’à une chose (ou presque). Commençons par le presque. Le presque, c’est ce lien humain entre les lieux, comme les personnages de Train de nuit, de Noeud Cajun du Langage de la peau ou de Villa Rosalie. Mais ces personnages, ces intrus qui explorent (et violent) les lieux cachés aux regards sont une espèce bien minoritaire dans l’univers (les univers ?) de Mélanie Fazi. Comme l’aragne de son Train de nuit, Mélanie Fazi tisse un lien entre tous ses lieux, tous ses personnages. Ce lien, déjà à l’état d’embryon dans Serpentine, est la musique. L’utilisation de cet art si cher à l’auteure (rappel) atteint ici une finesse qui tend à l’esthétisme. La musique n’est plus qu’un vague porteur de la narration ou le gimmick particulier d’un personnage particulier, lui-aussi. Elle est ici sciemment mêlée à l’acide désoxyribonucléique du texte. Elle est parfois évidente et utilisée comme telle, comme un coup de boutoir, parfois elle singe en fond d’autres éléments plus centraux et souvent, enfin, elle est utilisée en toile de fond, nous parvenant à peine, ainsi qu’aux personnages (La danse au bord du fleuve). Au risque de me répéter, ce caractère indélébile de la présence musicale chez cette auteure est, jusque là, absolument symptomatique de sa plume, et à la fois atypique et positivement attachant. Mélanie Fazi touche au conte. A son oralité, à ses formes changeantes et à sa puissance imaginaire. BORDEL.

Des émo-sons qui transitent entre des lieux clos (on se croirait dans une poétique de l’insularité, un peu à la Chrétien de Troyes : tout doit se passer sur/dans les hot spots prévus à cet effet, qui renferment un peu de la magie des crossroads du bayou dont tant de légendes découlent) et impriment des changements fondamentaux aux personnages. D’ailleurs, deux nouvelles du recueil se déroulent dans ce lieu à la fois magique et mythique qu’est le bayou. Un air de Bayou, d’Everglades se dégage du recueil, libérant une sorte d’aura intimidante, effrayante et incroyablement attirante. On y entend la musique et on y lit les malheurs. Mais on y devine aussi les déterminations et les forces terribles qui sous-tendent les actions de personnages qui sont moins à dérive qu’on pourrait bien le croire.

Trois recueils de nouvelles à son actif. Trois bijoux que nous allons découvrir ensemble.

Trois recueils de nouvelles à son actif. Trois bijoux que nous allons découvrir ensemble.

Quelque chose de rémanent

Au final, sur quoi arrive-t-on ? Déjà sur une continuité. Serpentine et Notre-Dame-aux-Écailles se répondent sur de nombreux points et, si le second propose une évolution, -une oeuvre plus adulte ? -, même en connaissant mieux l’auteure, ou du moins en ayant cette impression, on ne sait pas trop où on en est. On en est  et il se passe ça. Mais c’est inexplicable.

C’est là l’une des toutes dernières forces que je n’ai pas encore évoquées dans la construction des univers de Mélanie Fazi. Ils sont intimes. Intimement personnels, oserai-je, de sorte qu’on ne peut jamais trop en parler, sans soit tout dévoiler, soit être à côté de la plaque du ressenti d’un autre lecteur. Ce qui explique probablement que ce soit l’un des articles les plus courts depuis la création du site.

Lisez Mélanie Fazi. Lisez Notre-Dame-aux-Écailles. Faites vous transportez sur des rives mélodieuses et envoûtantes de déroute qu’elle vous propose de fouler de vos petons timides. Un peu comme Rory Gallagher et sa Daugther of the Everglades dont les paroles sont purement faziesques :

« Were you were raised by the river
Down in the low, low land
Where the air is dark and sinister
In the night there’s no safe place to stand

Daughter of the Everglades
You never made it clear
Child of the river
If you wanted to be here
Daughter of the Everglades
I never saw your tears. »

Vil Faquin

De la même auteure : Serpentine, Il était une fois… l’interview et Interview de l’auteure.
Sur la place de la musique dans le récit : Un rêve mandarineAlternative Rock.

11 commentaires

  1. J’ai vu le nom de Mélanie Fazi circuler ici et là. Il va décidément falloir que je la lise dare-dare ! Le côté écriture mélodique m’attire tout particulièrement

    1. C’est clairement quelque chose qu’il faut tester. Les deux recueils mettent en scène ce côté-ci, mais à des niveaux différents.
      Je te conseille de lire des critiques (non spoil) des deux et de choisir lequel te conviendra.
      Personnellement j’aime bien lire dans l’ordre pour voir l’évolution de la plume d’un auteur.

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