Interview de Lionel Davoust / 28.2.15

Interview de Lionel Davoust.

Billets à lire : La Volonté du Dragon, La Route de la Conquête,
Récital pour les Hautes Sphères et autres nouvellesL’île Close et l’édito de février.

Présentation

Bonjour, t’es qui ? Je m’appelle Lionel Davoust et je suis gentil. (Offre sous conditions.) J’écris des livres sur des trucs qui n’ont jamais eu lieu (je ne parle pas de fantasy, hein, mais de fiction au sens général). Je construis principalement deux univers, Léviathan qui relève de la fantasy urbaine mâtinée de thriller, et Évanégyre, un univers à connotation steampunk en première approche.

Ca va ? J’veux dire la vie, la famille ? Ça va super. Plein de projets en route, la patate, il m’a fallu 36 ans pour comprendre deux ou trois trucs mais ça commence à rentrer. Il était temps.

Et sinon, tu as un vrai métier ? Ah ben tiens, oui, ça tombe bien : je compose des musiques de jeu vidéo sous le nom Wildphinn (facebook), notamment un space shooter appelé Psycho Starship Rampage qui sort cette année. Comment ça, c’est pas un vrai métier non plus ?

Des couvertures et des titres. Autant La Volonté du Dragon c'est pas top moumoute, autant Récital pour les Hautes Sphères, ça envoie du bois.

Des couvertures et des titres. Autant La Volonté du Dragon c’est pas top moumoute, autant Récital pour les Hautes Sphères, ça envoie du bois.

Œuvre

Présente-moi ton parcours, camarade. Comment dire… J’essaie de faire cohabiter deux types en moi : le premier est ultra rigoureux, il m’a conduit à être ingénieur halieute (biologiste marin, disons), et me faire travailler avec une minutie qui me fait déborder vers le syndrome obsessionnel-compulsif. Le deuxième est un rêveur qui veut ressentir des trucs en déclamant des vers bancals sur une falaise battue par les vents. J’ai écrit ma première nouvelle à six ans, j’ai commencé à trafiquer du son vers douze. Une fois mon diplôme d’ingénieur en poche, j’ai dit en substance « fuck it » et je me suis lancé dans la littérature, où mes deux types internes arrivent à peu près à travailler ensemble à s’épauler. Ça fait quinze ans que je fais ça, entre écriture, traduction, éditorial et maintenant sound design, et j’espère que je ne vais jamais me réveiller.

Raconte-moi tes relations avec ton éditeur, Critic, qui est un petit éditeur provincial. Pour commencer, je te ferai savoir que la Bretagne n’est pas la province mais le centre du monde [ndlf : faux, parce qu’il est de notoriété publique que le centre du monde est en Bourgogne, comme stipulé ici]. Ensuite : très bonnes. Critic était une librairie avant d’être éditeur et fédère une bonne partie de la communauté SF / fantasy rennaise. On s’entendait bien, comme copains, avant de travailler ensemble. Depuis, ils soutiennent avec un réel enthousiasme l’univers d’Évanégyre et me laissent une vraie liberté créative, respectant les intentions et me donnant les moyens de le porter aux lecteurs : j’ai beaucoup de chance. On travaille dans le juste mélange de plaisir et de sérieux. Ce n’est pas du bullshit de communication : je suis sincèrement heureux et fier que cet univers y ait trouvé sa maison.

Quel est ton ouvrage préféré/celui qui a la plus grande portée (dans ce que tu as produit) ? Je ne peux pas répondre à ça, tout est très différent… Je peux te parler de mon ressenti sur chacun : j’ai une tendresse particulière pour Léviathan, qui était ma première trilogie, et probablement ce que j’ai écrit de plus personnel. Je pense qu’Évanégyre (avec La Volonté du Dragon et La Route de la Conquête) commence tout juste à prendre son envol et à montrer son ambition (proprement déraisonnable – j’espère vivre assez vieux) : ça se complexifie, se ramifie de livre en livre. Mon recueil, L’Importance de ton regard [ndlf : à voir ici et ], constitue un peu la compilation de mes dix premières années d’écriture et, pour cette raison, c’est peut-être la meilleure porte d’entrée dans ce que je fais.

[youtube http://youtu.be/j6xT9mqRHTc]

Critique

Alors j’ai lu, et j’ai envie de parler de La Route de la Conquête et La Volonté du Dragon. Tu nous racontes d’où ils sortent ? De l’univers plus vaste qui les englobe : Évanégyre. J’ai une règle fondamentale avec cet univers : tout récit doit se suffire à lui-même. Pas besoin de lire 25 volumes pour avoir la fin de l’histoire, que ce soit une nouvelle ou un roman. Tu peux prendre un livre et rentrer dedans tout de suite. C’est très important pour moi, qui suis difficile à captiver.

  • La Volonté du Dragon est né d’un fantasme personnel : orchestrer la rencontre de la marine à voile et de la marine à vapeur et les mettre sur un pied d’égalité, ce qui n’a jamais vraiment eu lieu dans l’histoire réelle. Je me suis donc demandé : comment ça peut marcher ? J’ai aussi la guerre en horreur [ndlf : voir l’excellent édito publié mardi pour la Faquinade] – mais elle exerce aussi, pour cette raison, une fascination morbide sur moi : je n’arrive pas à comprendre, intimement, comment on peut en arriver là. Ce livre est donc aussi un hommage caché à la tragédie grecque. Tu sais dès le début que ça va mal tourner, mais tu veux voir comment. La Volonté respecte les unités de temps, d’action et (quasiment) de lieu.
  • La Route de la Conquête, à l’origine, n’était que la novella qui donne son titre au livre ; mais les éditions Critic m’ont alors proposé d’y adjoindre les nouvelles éparses parfois difficiles à se procurer, et d’ajouter de la matière au tout, afin de laisser transparaître la trame entre les différents récits et de faire un livre substantiel à proposer aux lecteurs. J’étais enchanté de cette occasion de dévoiler davantage le projet de ces histoires et je suis ravi de la cohérence finale du volume. Franchement, quel éditeur te propose de faire un plus gros livre ? En général, c’est l’inverse.

J’ai relevé quelques points à éclaircir : est-ce une repompe de l’empire romain ? C’est pas du med-fan, clairement, pourtant c’est catégorisé en fantasy ? Mais en est-ce vraiment ? J’ai émis l’hypothèse que ce soit de la tech-fantasy. Le genre te plait ? Une question me taraude, y aura-t-il une suite ? (si non) Même sous la menace ? Non, ce n’est pas une repompe de l’empire romain (et de l’Antiquité grecque au sens large) – ou alors des pans cools dont on se rappelle vaguement et qui resurgissent à travers Gladiator et 300. Je puise, en revanche, dans le réservoir d’images fantasmées à propos de cette époque, en m’attachant spécialement au cœur de ce qui en fait des fantasmes (la démesure, le projet civilisateur, la dureté), parce que… eh bien, c’est classe, que ça nous parle, que ça me parle et que j’essaie de n’introduire que des éléments qui me plaisent ou m’intriguent. Mais c’est une inspiration parmi beaucoup d’autres.
C’est catégorisé en fantasy parce que l’hypothèse du monde est ouvertement magique. Y’a le mot « magie » dedans. Même si ça fonctionne comme une science. En fait, j’ai envie de jouer avec les codes, de faire autre chose, tout en restant dans l’épopée dont la fantasy est la fille, et de jouer sans limites avec les décors, les mécanismes imaginaires, les icônes du bestiaire comme les dragons. Sans avoir à m’embarrasser de faisabilité technologique ou de prospective, comme la science-fiction l’exigerait. Va pour tech-fantasy. On a aussi parlé de science-fantasy (dont une des fondatrices est Anne McCaffrey, qui a bercé mon adolescence).
Des suites, des préludes… Je me promène sur la trame chronologique de l’univers au gré des histoires qui me semblent intéressantes à raconter. Donc, pourquoi pas – mais seulement s’il y a une histoire intéressante, donc. Je peux te dire que j’ai très envie de raconter l’accession au pouvoir de la généralissime Stannir Korvosa (événements auxquels il est fait une référence très indirecte dans « La Route de la Conquête »). Ça donnera une nouvelle voire une novella. Quand, je ne sais pas : pour l’instant, je me concentre sur Port d’Âmes, l’épais roman qui sortira en août… et qui montrera une facette très, très différente de ce qu’on a vu jusqu’ici.

Bon, l’influence Warhammer 40K (je sais que tu joues à Dark Heresy entre autres, d’une source libraire sur Lyon, je sais aussi que ce même libraire a confondu La Route de la Conquête avec un bouquin de La Bibliothèque interdite de chez Games Workshop) tu l’assumes ou pas ? Ah, je suis content que tu me poses cette question, parce que ça va me permettre de répondre une fois pour toutes. Franchement ? Aucune filiation ! Je sais que la comparaison a été faite plusieurs fois, parce que types en armures, parce que empire conquérant, etc. Mais c’est un hasard. Il faut savoir que j’ai découvert 40k il y a seulement quelques années – et à travers le jeu vidéo Dawn of War, en plus. Avant de lire Dark Heresy, je ne connaissais de l’univers que la campagne solo de DoW et tout ça m’avait l’air bien compliqué et bourrin. Or, les premières briques d’Évanégyre ont, elles, quinze ans… À l’époque, je ne connaissais rien de la licence, à part son image de sous-littérature (j’ai depuis grandement changé d’avis en m’y intéressant de plus près, j’y prends beaucoup de plaisir aujourd’hui). Je ne pouvais donc pas m’en inspirer. Games Workshop n’a pas inventé l’exosquelette ; l’Empire d’Asreth se « veut » tolérant et cultivé, stimule le développement rationaliste (tout le contraire de l’Imperium) ; les fantassins en armure lourde peuvent être n’importe qui (tout le contraire des Space Marines) – ce qui me permet d’aborder des thèmes comme la fascination de la puissance et de la technologie chez tout un chacun. Si l’on a vraiment envie de chercher une filiation, je te le dis franchement : elle se trouve plutôt du côté de l’esthétique steampunk et de Final Fantasy.

J’aimerais revenir à la nuance et l’humanité dont font preuve tes textes. Qu’est ce que tu as à dire à ce propos ? Que ça me fait plaisir, d’abord ! Merci. Ensuite, eh bien, je suppose que c’est un choix d’auteur parce que c’est une exigence de lecteur. Je déteste qu’un livre me donne une leçon de morale, me dise quoi penser, me montre qui a raison et tort, qui sont les gentils et les méchants. J’aime l’ambiguïté, j’aime qu’un auteur s’adresse à mon intelligence et me pose des questions en me donnant les éléments et en me laissant me faire ma propre opinion. Du coup, j’essaie d’écrire ce que j’ai envie de trouver… Je suis fermement convaincu que les absolus n’existent pas, surtout en ce qui concerne les êtres humains. Nous sommes tous complexes, nous évoluons au fil de notre vie, nous sommes parfois contradictoires, grandioses ou minables. Parfois tout ça en même temps. Du coup, je suppose simplement que je représente cela, ce qui revient pas mal à ma vision de l’humanité. Il y a du grand et du mesquin chez tout le monde. Et l’on peut sincèrement estimer, avoir de la compassion, pour son ennemi juré, en tant que frère humain. La première vérité, c’est que nous appartenons tous à la même espèce.

Un point d’éclaircissement, c’est quoi l’Artech ? Non parce que le goût sucré, c’est sympa, mais ça ressemble à du nucléaire en gros. Non ? C’est pas mal résumé, oui. Artech est un mot composé : arcane + technologie, c’est la magie technologique manipulée entre autres par l’Empire d’Asreth. C’est une sorte de science magique : une démarche empirique, scientifique, appliquée à cette énergie mystérieuse et évanescente qu’on appelle « magie ». Une façon rationnelle d’apprivoiser les énergies mystiques du monde, notamment à travers les machines « artech ».

Ton style est résolument introspectif et il trouve un écho parfait dans certaines nouvelles très psychologiques. D’où vient-il ? C’est un choix ou tu écris naturellement comme ça ? Je crois que ça revient un peu à ce que tu disais sur l’humanité. Je pense que c’est naturel (c’est même une propension que je surveille et ai toujours tendance à élaguer dans mes corrections, histoire de ne pas me laisser aller), même si je prends soin de cet aspect ; je tiens beaucoup à ce que le lecteur puisse entrer dans la tête des personnages, à les comprendre pour apprécier l’histoire ; à vivre par procuration, par exemple, les dilemmes d’un chef d’armée, ou l’euphorie d’un super-soldat. Je vais te confier un truc – une phrase de Yourcenar autour de Mémoires d’Hadrien m’avait marqué : « faire de l’intérieur ce que les historiens ont fait de l’extérieur ». J’ai détesté le bouquin que j’ai trouvé profondément ennuyeux – j’espérais voir de l’intérieur les affres et la grandeur d’un empereur romain, je n’ai eu qu’une amourette anodine. Mais la phrase m’a marqué. Du coup, j’essaie humblement de proposer de l’intérieur des destins marquants – empereur, soldat, marchand, civil – au lieu de me limiter à l’extérieur.

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Certifié écrit de la main gauche par l’auteur.

 Meta

  • Ton livre préféré ? T’es vache. Je triche : en fiction, je dirais Les Princes d’Ambre de Roger Zelazny. En essais, Ainsi parlait Zarathoustra, de Nietzsche. Avec peut-être les premiers bouquins de Castaneda [ndlf : pas l’ex joueur de l’ASSE et de l’OM, précisons]. J’avais prévenu, je triche.
  • Ton morceau préféré ? J’ai 25.000 pistes sur mon serveur personnel et tu veux que je te donne UN titre ? Allez, Clavicula Nox de Therion, pour sa signification.
  • Ton film préféré ? Là, facile. Le Grand Bleu. Eh oui, je suis une pouf à dauphins.
  • Ton auteur préféré ? Là encore, c’est très difficile. Je pense que celui pour qui j’ai le plus d’admiration dans l’envergure, dans l’héritage, dans le courage d’explorer ses propres cauchemars, dans l’ambition de construction et dans la splendeur du style, c’est Lovecraft. Pas forcément celui que je relis régulièrement, en revanche…
  • Ce que tu n’arriveras jamais à lire, même en te forçant ? Il y en a tellement (90% de l’autofiction à la française, pour commencer)… Allez, je vais troller, je sais que c’est ce que tu veux [ndlf : que notre aimable lectorat note que nous nous indignons, pas trop fort certes, contre cette affabulation] : Les Trois Mousquetaires. Le style, les personnages, la lenteur et les incohérences, je n’ai jamais pu, à n’importe quel âge ; je sais que c’est dû à la forme, mais j’arrive un siècle et demi plus tard, pardonnez-moi. En revanche, soyons clairs : je reconnais bien évidemment à Dumas son statut de géant et je sais tout ce que la littérature populaire – dont ma pomme – lui doit. Mais tu peux reconnaître l’influence de quelqu’un, ta dette envers lui, sans adhérer, et c’est mon cas.
  • Un truc inutile dont tu n’arrives pas à te passer ? Le saucisson.
  • Information secrète. Dans un de mes textes (« L’Importance de ton regard »), au lieu d’« il enfourcha son palefroi », j’ai écrit « il enfourcha son palefrenier ». Heureusement, ça a été vu aux corrections…
  • Complète : « Est-ce que…? » Non, je ne complète pas, j’aime bien comme ça.
  • Qu’as-tu à dire pour ta défense ? Je suis plus cinglé que toi.

Vil Faquin.

Du même auteur : La Volonté du Dragon, La Route de la ConquêtePort d’âmesRécital pour les Hautes Sphères et autres nouvellesL’île Close et l’édito de février.
Lionel Davoust est lauréat du Prix Exégète 2015.

8 commentaires

  1. C’est malin, j’ai envie de lire ses trucs maintenant
    Et le côté « ingénieur qui dit fuck-it » en moi ne peut qu’aimer cette interview…

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