Interview d’Alex Nikolavitch / 13.2.17

Interview d’Alex Nikolavitch / 13.2.17

Présentation

Bonjour, t’es qui ? Alex Nikolavitch. Ce qui est essentiellement un personnage fictif, d’ailleurs. J’ai un vrai nom, que mon banquier et les écoles de mes mômes utilisent toujours, mais y a plus qu’eux. J’ai même fait de vrais métiers, dans le temps. Et puis ça m’a gavé et j’ai reformaté le bazar. Et le jour où je reformate encore pour devenir un super-vilain, mon nom sera Lex Lavitch, au fait [ndlf : double initiale, y’a un côté Stan Lee, là, non ?]. J’attends d’avoir perdu mes derniers cheveux et je me lance.

Ca va ? J’veux dire la vie, la famille ? On fait aller. Mes mômes trouvent que papa fait un métier cool, donc c’est bien.

Et sinon, tu as un vrai métier ? C’était y a longtemps, y a prescription. J’en ai même eu plusieurs, d’ailleurs. Ça a été de technicien de laboratoire et employé de pharmacie à agent de sécurité en passant par libraire, rédacteur de catalogues/dicos, journaliste dans une agence de presse photo, un peu d’animation radio, inventoriste…

Bon, j’aurais bien mis une photo classe d’une interview sur canapé, à la fraîche. Mais j’aime pas trop le contact humain. Voilà donc une compensation papier.

Ce métier social

Tu nous présentes ton parcours ? Plein de galères, et des rencontres de dessinateurs, d’éditeurs, de scénaristes, qui m’ont encouragé, appris les ficelles…

Tu as roulé ta bosse principalement dans le monde des comics en tant que traducteur. Comment ça se passe pour entrer dans ce monde, chopper des contrats ? Un peu par hasard au départ. En fait, j’avais écrit dans des fanzines BD et Comics, et certains de mes papiers avaient été remarqués. Et j’ai croisé la route de Thierry Mornet, qui écrivait dans Scarce, et avec lequel j’ai sympathisé (on avait été présenté par des amis communs qui grenouillaient dans le même milieu). Quand, quelques années plus tard, il est devenu rédacteur en chef de Semic (les anciennes éditions Lug, autant dire un Canal Historique des comics en France), il a pensé à moi, et m’a dit : « Tu as l’air de bien comprendre et bien analyser ce que tu lis en anglais, et tu écris bien le français. Ce sont les qualités d’un bon traducteur. Ça te dirait de faire un essai ? » Quelques mois plus tard, en plein mois d’août, un responsable éditorial a oublié de filer son épisode du mois à une traductrice. Internet balbutiait, le téléphone portable aussi (le Smartphone n’était encore qu’un rêve humide de Big Brothers en t-shirt crado), bref, il a fallu un plan B. Comme je devais être inscrit à « Alex » dans le calepin, c’est moi qu’on a appelé en premier.
Après, choper des contrats, c’est plus simple quand on a déjà publié quelques trucs, que les éditeurs ont eu l’occasion de voir et juger le boulot. Et puis les transferts de responsables éditoriaux s’accompagnent également de transferts du carnet d’adresse. Du coup j’ai un peu métastasé.

Parmi tout ce que tu as traduit, y’a un truc que tu retiendrais, une expérience particulièrement mémorable ? Pourquoi ? V pour Vendetta, parce que c’est un texte extraordinaire, et parce que pour des raisons de planning de l’éditeur il a fallu que je le fasse en 13 jours. Toute la série The Boys, parce que j’avais le droit de mettre plein de gros mots, y compris des que les gens connaissent peu ou mal, comme « braquemard« , et que j’ai pu glisser d’une façon tout à fait perfide une citation de Dalida dans un épisode. Neonomicon, aussi, du fait des difficultés référentielles très complexes que ça posait.

Je vois ton nom associé à moult traductions phare : Kick Ass, V for Vendetta et tant d’autres. Quel est ton parcours avant d’en arriver là. Le bizutage des trucs foireux dont personne ne veut, puis les coups de bol d’être là au bon moment au moment où il faut quelqu’un pour tel bouquin très chouette. Et puis, encore après, l’habitude prise de me filer des trucs difficiles.

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C’est beau, la reconnaissance universelle 😀 !

Oeuvre

La traduction française des comics est en nette regain d’intérêt depuis quelques années mais souffre toujours de vives critiques de la part des puristes. Comment te sens-tu à ce propos ? Décontracté. 80% des reproches sont à côté de la plaque. La traduction des comics a fait d’énormes progrès depuis les trucs surréalistes qu’on voyait chez Aredit et Sagédition. Mais comme ça s’est accompagné de la démocratisation de la parole, sur internet notamment. Et donc, si je vois passer de temps à autres des arguments très étayés ou des critiques très pertinentes (ce qui me permet d’évoluer), je vois passer beaucoup de bêtises. Y compris dans des critiques du travail d’autres collègues dont le travail est parfois en effet pas terrible, mais mériterait des exemples précis et solides. Car beaucoup de critiques confondent choix de traduction (et on y est souvent confrontés, quand un texte est ambigu, a plusieurs niveaux de lectures, etc.) et erreur. Or, souvent, ce qu’ils considéreraient comme une bonne traduction passerait à côté de l’essentiel, du jeu formel de l’auteur, d’une référence, d’un jeu de mot.

Tu n’es pas seulement traducteur de comics, tu donnes aussi des conférences sur le sujet, écris des articles sur la Warzone (ton blog), publie des essais (Bibliothèque des miroirs, Bibliothèque voltaïque, Confidentiel), notamment sur la mythologie dans les univers des éditeurs majeurs. Pourquoi se focaliser là-dessus ? Par goût des structures, déjà. Une mythologie reflète des structures de pensée et de symboles, qu’on retrouve dans les comics. Et l’étude de ces schémas permet d’enrichir considérablement la lecture de certaines œuvres, et de les inscrire dans un continuum. Même quand je ne parle pas de comics, d’ailleurs : c’était l’objet de bouquins comme Apocalypses ! ou Cosmonautes ! Montrer comment les idées, les concepts et les motifs évoluent, se confrontent avec le réel, mutent, et reflètent l’époque qui les produit et les transforme.
Après, j’ai des projets de bouquins consacrés à la mythologie pure, dans une perspective comparatiste, sans parler de
comics. Mais c’est un énorme travail, très complexe, et je ne suis pas certain d’avoir une quelconque légitimité dans le domaine, en plus. Et comme ça développerait des conceptions assez hétérodoxes…

Tu es également auteur de bandes-dessinées, notamment chez les Humanoïdes Associés, est-ce vraiment différent du monde des comics ? On entend souvent parler de l’univers de la BD francophile et de l’univers de la BD américaine comme deux choses séparées. Le Lyon BD festival n’incluait pas les comicbooks avant que Kader, de la librairie Comic Zone, décide de lancer en annexe du LBDF le Comic’gônes, dans un lieu séparé et purement dédié aux comics. Tu peux nous éclairer là-dessus ? Personnellement, j’envisage surtout ces différences en termes de formats. Mais il y a des lectorats très segmentés, un peu snobs parfois, qui restent dans un petit pré carré. Il fut un temps où, pour la critique et les libraires, la BD américaine se résumait au comic strip, et le comic book était vu comme infantile et sale. Comme je fonctionne au coup de cœur, je ne comprends pas toujours bien ça. Que je fasse un manga pour les Humanos, un album franco-belge pour Glénat ou un comic book pour Todd McFarlane, je fais le même métier. Pas forcément avec les mêmes outils narratifs (j’abusais des cliffhangers vicelards dans Tengu-Do, par exemple), ni la même tonalité, mais c’est le même travail de scénarisation et de découpage du récit. L’unité de découpage change, et ça influe sur le rythme, mais c’est la seule différence.
Après, comme par hasard, certains de mes auteurs franco-belges préférés ont été profondément influences par les américains, Andreas par exemple.

Bien entendu, les lecteurs de ce blog te connaissent surtout pour Eschatôn, ta petite merveille de premier roman publié chez les Moutons Electriques et qui a fait grand bruit. C’était une finalité de passer au roman ? Après les essais, les BDs/comics, c’était la suite logique ? La première version d’Eschatôn était un projet en BD développé quand j’étais chez les Humanos. Mais comme plein de trucs développés à l’époque, ça n’a pas abouti, et le projet était encore grevé par des problèmes de construction non résolus (le début, la scène du Mascaret, était déjà écrit et dialogué, ainsi que le réveil dans la boue, et la fin était déjà prévue telle qu’elle est dans le roman, avec cette même accélération concomitante d’un élargissement du cadre).
Lors d’une conversation avec André-François Ruaud [ndlf : que les lecteurs ont pu croiser ici], des Moutons électriques, chez qui j’avais publié des essais, on a évoqué la possibilité de faire du roman. L’idée me trottait dans la tête depuis longtemps, et quelques copains qui avaient sauté le pas m’encourageaient à faire de même. J’ai sauté sur l’occasion. Après, suite logique, j’en sais rien. Mais libération, en tout cas. Certaines idées sont taillées pour la BD, d’autres s’avèrent plus efficace en roman. Eschatôn la BD aurait été beaucoup moins introspectif, plus démonstratif sans doute aussi.

Des projets pour la suite, j’imagine ? Parle, bon sang ! Des tas. Trop. En roman, il y a L’île de Peter, une variation sur le thème de Peter Pan, un truc assez bizarre, je pense, à l’arrivée. En BD, deux bios, dont une de Lovecraft, un auteur qui m’a marqué et sur lequel je reviens souvent. Et d’autres machins. Des romans et des nouvelles, des BDs, un comic book, mais tout dépend si j’arrive à vendre ça à des éditeurs.

Un auteur qui commence à se faire une petite place dans ma bibliothèque et que j’ai hâte de relire, tant en fictions qu’en essais.

Meta

  • Ton livre préféré ? J’en sais rien. La short-list ferait une trentaine de bouquins, au bas mot.
  • Ton film préféré ? Ah, là, ça va, y en a trois… pardon, quatre… Amadeus, Excalibur, 2001 et Blade Runner. En fait, cinq ou six, ou dix, mais on va dire ces quatre là.
  • Ce que tu n’arriveras jamais à lire, même en te forçant ? J’arrive à lire des trucs qui feraient vomir un bouc. Mais je dirais Le Clan des Sept et les Bonshommes de Neige. A l’âge de six ans, je me suis retrouvé coincé en Yougoslavie pendant deux mois et c’était le seul bouquin en français que j’avais sous la main. J’ai dû le lire huit fois. Plus jamais. C’est un terrible traumatisme. Je vais me resservir un verre d’un alcool yougoslave très fort, pour oublier. Sinon, les trucs nombrilistes qui passent pour de la littérature, de nos jours, ces machins où des germanopratins se pignolent en racontant leurs malheurs. Ah, et L’Equipe. Les gens qui lisent L’Equipe tous les matins me font flipper.
  • Un truc inutile dont tu n’arrives pas à te passer ? Mes enfants.
  • Information secrète. Je suis le gourou cosmo-beyonderesque d’une secte d’êtres venus d’outre-dimension. Notre eucharistie fonctionne avec un truc à base de reblochon. Et nous sommes en train d’infiltrer les illuminatis pour devenir maîtres du monde.
  • Complète : « Est-ce que…? » Est-ce que c’est bientôt fini, les questions ?
  • Qu’as-tu à dire pour ta défense ? J’ai un alibi, m’sieur l’agent. Celui qui fait toutes ces choses, c’est l’autre, c’est Nikolavitch. Moi, je suis celui qui a un vrai nom à l’état-civil et tout, une vie sociale, une… ah, non, j’ai plus de vie sociale, c’est vrai. Mais je peux tout vous expliquer, c’est pas ce que vous croyez.

Vil Faquin.

A lire : Eschaôn, Les Dieux de Kirby,
EditoMythe et Super-Héros.

Alex Nikolavitch participera au Colloque du Héros les 29 et 30 avril 2017.

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