Y F’rait Beau Voir – La Marque

Kushiel t.1 – La Marque (Kushiel’s Dart)

Jacqueline Carey

Cela fait un petit bout de temps que j’avais envie de faire un article sur la saga de Jacqueline Carey. Et puis quand je voulais il y avait des empêchements, ce n’était pas le bon moment, un autre ouvrage était plus pertinent. Et quand le moment était le bon, je m’apercevais qu’un ancien déménagement avait amputé ma saga de son premier tome, ce qui semble étonnamment compliquer la rédaction d’une présentation.

Et puis, ce tome s’est trouvé être en rupture de stock ; n’a été réédité que sa version « poche » – je mets des guillemets car l’épaisseur de l’ouvrage dans ce format dissuaderait un géant de Jötunheim de le mettre dans la poche ventrale de sa salopette – chez Milady. Alors acheter un ouvrage en poche alors que j’ai les cinq autres en grand format…

Mais le mois A Tire d’Elles pointait le bout de son nez et, comme Faf La Rage, je n’avais plus le temps. Alors j’ai fouillé les moindres recoins des bouquinistes, des brocanteurs des quais, des fonds de stocks des librairies ignorantes. Mais La Marque restait introuvable. Or, sans elle, point de lecture et point d’article. Onze mois après le début de ma quête, j’ai commis l’irréparable achat en ligne, à un particulier. Monde de la librairie, puisses-tu me pardonner.

Le noir et blanc c'est digne. Un peu comme la couverture sous la jaquette de l'édition spéciale de Kushiel.

Le noir et blanc c’est digne. Un peu comme la couverture sous la jaquette de l’édition spéciale de Kushiel.

La Marque est le premier roman de Jacqueline Carey. Il est paru en 2001 dans sa version originale et a été traduit par Frédéric Le Berre (qui avait également traduit le tome 2 de Farlander, histoire de vous rappeler de vieux souvenirs) et publié par Bragelonne en 2008. Il est le premier tome d’une trilogie de trilogies. Oui, rien que ça. Et voici venu le temps de vous proposer 5 raisons de vous jeter à corps perdus sur ce premier tome tant décrié :

  1. Bon, éludons immédiatement un point qui risquerait de nous gêner par la suite : les illustrations. Elles sont signées Anne-Claire Payet et ne sont, à mon sens, ni représentatives de l’ouvrages ni agréable à l’œil. Elles le dé-servent même. Avec ce style digne des Milady Romance ou Castelmore, l’ouvrage apparaît comme un roman parmi les autres sans se démarquer, alors que sa profondeur est toute autre. Pourquoi s’attarder sur ce point dans les 5 raisons qui peuvent faire aimer Kushiel ? Tout simplement parce que ces illustrations ne sont pas une fatalité. Les tomes poche ressortent désormais avec un graphisme plus sobre et agréable. Et puis en leur temps, les grands formats sortaient également chez Bragelonne dans une édition spéciale à la couverture en simili-cuir. J’ai les deux premiers tomes dans cette édition et c’est un plaisir. On peut dire ce qu’on veut des grands formats Bragelonne (on y reviendra bientôt), notamment au niveau de la colle, mais ces reliures-ci sont un régal. On rajoute le très nécessaire et bien réalisé index des noms en début d’ouvrage, juste après la carte, et c’est parfait. Et la carte, c’est c’est notre point suivant.
  2. Jacqueline Carey, où qu’on lise, est présentée comme une grande voyageuse qui adore puiser dans ses voyages la trame de futurs mondes. Ce qui est vrai c’est que cette auteure, qui m’apparaît sympathique, allez savoir pourquoi, s’est découvert un amour pour les livres en bossant dans une librairie londonienne. Quoi qu’il en soit, l’élément central de son roman est l’univers choisi. C’est de lui dont découle une bonne partie de l’intérêt de la saga (un peu, là encore, comme Farlander). L’auteure a choisi de représenter une Europe alternative qui justifierait une histoire alternative (voir le point 5). Différents pays sont donc mis en actions, chacun associé à une période de sa réelle histoire : la France [Terre d’Ange] est par exemple celle de notre XVIème siècle. La Grande-Bretagne [Alba] est celle des Âge Sombres (entre Antiquité et Moyen-Âge), l’Irlande [Eire] est celle des sagas de Cuchulainn, l’Italie [Caediccae Unicae] est au temps des cités franches commerciales (où Venise est appelée La Serenissima), l’Allemagne [Skaldie] est un mélange de peuplades désunies saxonnes et vikings (X-XIèmes), les Pays-Bas [Les pays plats] sont juste mentionnés dans ce premier tome et l’Espagne [Aragonia] est la Grande Espagne de Philippe II. Maintenant, imaginez le tout relié par une trame construite, logique et pas capilotractée. Prenez cinq secondes, oui. Pas mal non ?
  3. Bon, après un point aussi développé, on va recentrer un tout petit peu le débat. Le roman est narré par la bouche de Phèdre no Delaunay, le personnage principal, à la première personne donc. Les cycles, les sagas dont le personnage central est une héroïne sont suffisamment rares pour que l’on prenne le temps de s’y arrêter cinq minutes, d’autant plus quand l’auteure est une femme. Là comme ça, à part les deux trilogies d’Ewilan de Pierre Bottero et, dans une moindre mesure, Chien du Heaume et sa suite de Justine Niogret, je n’ai rien en tête. Cela ne veut pas dire que ça n’existe pas. Juste que ces occurrences sont trop rares.
  4. Et cette touche féminine se ressent dès la première partie du livre. En effet, sur quelques 800 pages, La Marque alterne trois styles bien différents : dans un premier temps on erre dans un univers de Court-fantasy, entre intrigues de cour et le métier de courtisane de Phèdre – il tient probablement à la délicatesse de la plume de l’auteure que ces moments ne sombrent jamais dans un érotisme facile -, puis nous découvrons petit à petit le monde au-travers d’une narration digne d’un roman de voyage, avec ce qu’il faut de rencontres, aléas et dépaysement – du lecteur autant que des personnages pour le coup. Enfin, Jacqueline Carey nous sert une conclusion de tome dans la grande tradition épique (avec la charge de cavalerie la plus épique et forte que j’aie pu lire depuis celle du Pelennor, c’est dire )
  5. Bon, même si je vous ai demandé d’imaginer que les rouages de cette grande et hétéroclite machinerie qu’est La Marque sont bien huilés, je vais quand même revenir dessus. Ce qui fait que ces trois narrations étrangères s’assemblent si bien et que la carte globale dessinée par l’ouvrage renvoie une homogénéité forte, c’est probablement que tout s’inscrit dans une grande saga, pensée comme telle. Vous savez mon goût pour la chose historique et, quand je lis ce tome, je ne peux pas m’empêcher de donner raison à l’auteure, qui disait en 2001, à propos de sa trilogie Kushiel : « Voilà un roman historique contant une histoire qui n’a jamais eu lieu. » Rien de plus vrai.
Deux sagas sagas sur trois traduites en français et aux couvertures... euh... colorées ?

Deux sagas sagas sur trois traduites en français et aux couvertures… euh… colorées ?

Kushiel ne mérite pas la réputation qu’il se traîne – je parle de celle de lecture-à-l’eau-de-rose-pour-fifille-niaise. Alors attention, je n’ai rien contre la romance. C’est un peu comme un pneumothorax. Ca arrive à des gens très bien. Salomon Gessner nous avait livré de magnifiques Idylles à la fin des années 1750, par exemple. Ce avec quoi j’ai un soucis, en revanche, ce sont les réputations fallacieuses. La Marque et ses petits frères et soeurs ne sont pas des ouvrages de romance (il y a bien sûr une sous-trame de romance, tout comme dans 820% de la littérature, mais ce n’est pas le coeur de l’ouvrage).

Jacqueline Carey arrive, avec un premier roman, suivi de 8 autres (la dernière trilogie, Moirin, n’est pas encore traduite), à faire prendre une nouvelle dimension à une court-fantasy qui m’a toujours profondément ennuyé. A tel point que lorsqu’on me demande conseil sur de la grosse saga anglo-saxonne à ramages, c’est ça que je recommande (devant les Gemmell et autres Eddings, et de loin). Et ça, c’était pas gagné.

Vil Faquin.

11 commentaires

  1. Ah ! Tellement, mais tellement d’accord !
    Je m’y suis mis grâce à Boudicca, et c’est du haut niveau. J’étais étonné/déçu de le voir rejoindre la case Milady, sachant que les couvertures Bragelonne font déjà extrêmement romances à l’eau de rose. Comme je le conseille régulièrement à ceux qui ont cru apprendre la vie avec Cinquante Nuances de Grey : qu’ils lisent Kushiel et on en reparle. 😉
    Style, histoire et univers, c’est quand même du solide.

    1. Très clairement. A la librairie, on riait de moi quand j’ai dit au gérant : prenez en 7, je vous les vends dans la semaine. 4 jours, et c’était marre, depuis les deux trilogies se vendent régulièrement.
      Bingo 😉

  2. « Kushiel ne mérite pas la réputation qu’il se traîne – je parle de celle de lecture-à-l’eau-de-rose-pour-fifille-niaise. »
    Enfin une critique sur un blog où je peux me permettre de croire cette affirmation !
    Je vais peut-être fermer les yeux pour ne pas voir les couvertures beûrk (oui, avec accent) et m’y plonger un jour, alors.

    1. Haha ! Le commentaire de Dionysos juste avant toi rend justice à ce petit bout de bouquin qui ne mérite pas ses galons !
      Tente le 1, il existe en poche chez Milady pour 8-10€ Vue la lecture promise, ça les vend carrément.

  3. j’ai la première trilogie dans sa superbe reliure et malheureusement Braguelonne n’a pas édité Imriel dans la même reliure, de plus j’ai eu l’immense privilège de rencontrer Jacqueline Carey et Frédéric le Berre en petit comité a l’occasion de sa venue en France pour les imaginales 2010 ou elle m’a gentiment dédicacé mes trois livres
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