Interview de Melchior Ascaride / 28.7.17

Interview de Melchior Ascaride / 28.7.17

Présentation

Bonjour, t’es qui ? Sait-on jamais qui nous sommes ? Est-ce que je peux être sûr de qui je suis ? Si pour la plupart je suis Melchior Ascaride, graphiste freelance, qu’est-ce qui me prouve qu’en réalité je ne suis pas l’avatar de l’un des aspects du subconscient d’un labrador endormi ? Ou le souvenir d’un univers éteint projeté dans un coin du cosmos par la lumière d’une étoile morte depuis des éons. Hein ? Et puis suis-je l’unique Melchior Ascaride ? Nous sommes peut-être innombrables, répartis dans des milliards d’univers et tous ne sont pas graphistes. Je le leur souhaite.
En tout cas, dans cet univers-ci, je suis graphiste (ou DA, comme le disent mes confrères et sœurs de Paris) et illustrateur dans l’édition (de livres et de DVD).

On est d’accord que c’est ton vrai nom ? Rage pas, c’est pas donné à tout le monde d’avoir un vrai nom qui fait office de pseudo. Et inversement.

Ca va ? J’veux dire la vie, la famille ? « J’veux pas d’famille, j’veux aucune famille, la famille c’est chiant » (Kevin MacAllister, Maman j’ai raté l’avion). Ouais ça va je suis pas à plaindre.

Et sinon, tu as un vrai métier ? Haha la question récurrente. En vrai j’ai une formation d’apprenti ninja de la Faculté de Ninjutsu de Rennes, mais le marché a été très vite saturé. Du coup, comme la seule autre chose que je sais faire de mes dix doigts en dehors de lancer des shurikens comme un dieu, c’est dessiner, non. Et puis ça me plaît de faire un faux métier, comme ça j’ai pas l’impression de bosser.

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Melchior Ascaride, c’est un bon paquet de hot shots de la fantasy française illustrés chez Les Moutons Electriques.

Ce métier social

Présente-nous ton parcours, homme. Je dessine depuis que je suis tout petit… J’adore cette phrase d’intro. Tu connais des gens qui te disent « Ah moi gamin je faisais toujours des notes de service ! ». Non. Mais il n’empêche que c’est vrai. Après à l’école je dessinais dans les marges. Puis les marges c’était trop petit alors j’ai un peu débordé. Puis encore un peu. Jusqu’à, à la fac, ne plus prendre beaucoup de notes. Z’avez vu cette transition ? Donc ouais je suis allé à l’université, en Arts Plastiques. C’était chouette. Faut dire qu’à 12 heures de cours par semaine, ça va. Mais la fac « d’arts pla », ça forme pas à grand-chose si t’as pas l’ambition d’être prof. Donc après j’ai fait une école de graphisme, j’vous passe tous les détails et anecdotes nulles, j’ai monté un studio avec des copains dans ma ville « natale » (parce qu’en vrai je n’y suis pas né, bim anecdote nulle), j’ai fermé le studio, quitté ma ville, déménagé à Paris. Et depuis ça se passe bien.

Et tes relations avec avec ton éditeur, ça donne quoi ? Les relations avec Les Moutons électriques c’est un peu le meilleur truc du monde. Cela fait quatre ans qu’on travaille ensemble, et en quatre ans ils sont tous passés du statut de « clients de la classe » à « amis très chers ». C’est précieux des collaborateurs avec qui non seulement tu partages plein de choses, mais qui dès le départ te font confiance et ne te mettent aucune barrière.

Quelle est ta production préférée/celle qui a la plus grande portée (dans ce que tu as produit) ? Avant de devenir graphiste je voulais faire des livres pour enfants. J’en ai fait, deux (cherchez pas, ils sont tous dans mon placard), les dessins et le texte. Du coup, même si c’est pas pour enfants et que j’ai pas fait le texte, je vais évidemment dire Tout au milieu du monde. Je suis super fier de ce qu’on a fait avec Julien et Mathieu.

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Dédicace la plus coolos qui m’ait jamais été adressée.

Oeuvre

Faire des illustrations, des couvertures, des affiches, ça consiste en quoi en fait ? A faire des illustrations, des couvertures et des affiches. Je sais c’est choquant. Ah, on me souffle en régie que ce serait bien que je réponde un peu sérieusement. Soit.
Alors ça consiste à produire un support visuel immobile destiné à l’habillage et la promotion d’une œuvre. En fait, il s’agit simplement de retranscrire ladite  œuvre en UNE image. C’est là que c’est chouette, parce que tout le propos est de synthétiser, autant que faire se peut, une histoire. Tu peux en illustrer une seule scène bien sûr, mais là où mon métier devient assez fascinant, c’est quand tu cherches à extraire la substantifique moelle d’un roman ou d’une pièce (ou d’un film ou que sais-je). Tout en y intégrant ta patte, ta sensibilité, ta vision de l’œuvre, ce que toi tu veux représenter (des fois, c’est bien de se faire plaisir) sans que ça ressemble à un dieu lovecraftien parce que ta production, au final, est destinée à d’autres gens.
Si tu fais des trucs pour toi, cryptiques parce que le mortel moyen n’a pas assez de connexions synaptiques pour comprendre la profondeur cosmique de ton génie, c’est que tu frappes un grand coup mais complètement à côté de la balle. Si par contre tu te creuses un peu la soupière pour toucher le plus grand nombre, là on commence à parler.

Chez Les Moutons Electriques tu es responsable de l’identité graphique. Qu’est-ce que ça veut dire ? Quel est ton rôle avec l’éditeur exactement ? Responsable, mais pas coupable.
L’identité graphique, ou visuelle, c’est tout l’aspect extérieur du livre. La couverture, mais aussi le dos… enfin tout ce que tu vois sans avoir à ouvrir le livre. C’est pas juste un moyen facile de reconnaître le livre en librairie (même si ça fonctionne). Ca participe à l’esprit de la maison. Chez les Moutons, il y a certes la volonté de proposer de la vraie littérature, des textes véritablement écrits, pensés et travaillés (on peut parler de ligne éditoriale, voire si on veut se la péter branchouille d’identité éditoriale) mais la démarche et la réflexion vont plus loin. L’habillage de ces textes est tout aussi pensé et travaillé. Et ce avant que j’arrive dans la maison hein. Avant moi, Sébastien Hayez a fait un sacré travail, qu’on ne l’oublie pas.  Notre volonté est de proposer de la littérature de genre avec un traitement graphique contemporain. Pas par effet de mode ou pour surfer sur une quelconque vague. Mais parce que le genre évolue. Et il doit évoluer dans son ensemble.
Attention, là c’est le moment où je risque de digresser à fond, mais tant pis, tu as voulu une interview Faquin, tu vas l’avoir.
Par définition le genre c’est codifié. Que ce soit en littérature ou ailleurs, et gare à qui ne respecte pas les codes. Le problème des codes, c’est qu’à force de les employer ils deviennent des clichés. Et on pense tous la même chose des clichés. Du coup, dans un pays comme la France où le genre est méprisé à outrance et à plus forte raison en littérature, mettre en avant des romans d’imaginaire bourrés de clichés ça ne fait pas avancer la cause. Et la fantasy a beaucoup souffert de ces clichés. L’hypersexualisation des femmes avec des bikinis en mithril, la survirilisation des hommes qui partent à la guerre en slip, les dragons en veux-tu en voilà, le guerrier de dos, le guerrier à capuche, le guerrier avec une épée dans chaque main (voire le mélange des trois)… Toute cette imagerie, qui descend quand même pas mal de Royo et Frazetta (et attention, j’adore Frazetta et pas du tout Royo) qui cerise sur le gâteau a été utilisée dans les années 80-90 dans le monde du jeu de rôle qui, comme l’a dit Mireille Dumas, a transformé la moitié des ados français en maniaques homicides, n’a pas aidé à ce que l’élite bien-pensante garante de la culture autorisée regarde d’un bon œil la fantasy. Pour beaucoup, et surtout beaucoup de grands fats qui aiment à la mépriser sans en avoir jamais lu une ligne, la littérature de genre est un truc « d’ado attardé ». Ou, comme l’a dit quelqu’un que je connais de ma tranche d’âge, « c’est de la littérature de gens qui n’ont aucune relation sexuelle ». Voilà un peu le bourbier duquel on doit se dépatouiller.
Du coup, proposer un traitement graphique qui s’éloigne des clichés sans toutefois renier les codes et la nature profondément populaire de cette littérature, en plus d’être un plaisir personnel absolu, relève presque de la démarche politique. C’est une manière de dire, ou plutôt de montrer, que les acteurs de l’imaginaire sont des gens à la page (sauf quand ils utilisent ce genre d’expression), des gens intelligents ancrés dans leur temps, qui réfléchissent à leur média dans son ensemble. Et je ne dis pas que de l’illustration traditionnelle avec un personnage au premier plan c’est le Mal, il y a des gens à qui ça plaît et je ne veux pas qu’on les prive. Mais proposer autre chose, offrir aux lectrices et lecteurs un autre point de vue, ça permet de montrer qu’autre chose est possible et que tout ados attardés que nous soyons, on a oublié d’être cons.
Voilà en gros mon rôle avec les Moutons. Proposer. Et je suis content, parce que jusqu’ici, ça marche pas mal.

Nécessairement, quand on parle à Melchior Ascaride, depuis avril 2017, on lui parle de Tout au Milieu du Monde (aka TAMDUM). Tu nous expliques comment il a vu le jour ce petit truc étrange ? TMM (et pas TAMDUM, vil faquin que tu es) est venu de plusieurs directions à la fois. Julien Bétan, directeur littéraire de Mathieu Rivero, parlait souvent avec ce dernier d’une collaboration. Et puis Julien et moi on a commencé à parler d’un jour travailler ensemble. Et puis, ce qui est assez marrant, c’est que dans ma tête, la naissance même de TMM est devenue un mythe. Les souvenirs que moi j’ai du balbutiement du projet diffèrent un peu de ceux qu’ont Julien et Mathieu. Du coup cet aspect nébuleux moi ça me plaît. C’est presque comme s’il était né tout seul. Ce qui est sûr (presque sûr) c’est qu’un jour André-François Ruaud, le boss des boss et Directeur Cosmique des Moutons, m’a dit sur le ton de la semi-plaisanterie « Alors, quand est-ce que tu nous fait un livre illustré ». On avait déjà commencé à parler préhistoire avec mes deux compères, donc Julien et moi, présents ce jour-là, on s’est regardé d’un œil entendu et on a répondu « Ben puisque tu en parles… »
Après, la vraie raison d’être de TMM, ou tout du moins l’une de ses raisons d’être, c’est de proposer de la VRAIE littérature, mais avec des dessins dedans. Et puis pas que des dessins, mais faire un vrai objet littéraire et narratif qui fonctionne autant via le texte que via les images. Que les deux se répondent, disent ce que l’autre ne dit pas. Et proposer, encore une fois, un livre pensé à trois. La maquette entière est réfléchie, elle bouge, elle évolue, elle explose. C’est notre manière de dire « Si, un livre ça peut être ludique ET intelligent ET pour un public adulte ». Et c’est pas pour nous jeter des fleurs (si) mais je trouve qu’on s’en est pas mal tiré pour un premier essai.

Parlons-en de ce prix des Imaginales : qu’est-ce que ça change au final ? (professionnellement, socialement, sexuellement peut-être) Bon alors déjà je tiens à démythifier le monde de l’édition. Moi quand je suis arrivé on m’a dit « Tu vas voir, l’édition c’est n’importe quoi tout le monde couche avec tout le monde ». Hum. J’en connais qui attendent toujours leur tour pendant que d’autres se la donne grave.
Qu’est-ce que ça change ? Déjà ça a rendu pas mal de monde fier, à commencer par moi-même. Rien que ça c’est déjà bien. Là où je suis super content, c’est que je l’ai reçu pour « l’identité graphique des Moutons électriques », comprendre en gros tout mon (notre) travail. C’est pas tant que ça salue toute mon œuvre que ça salue surtout notre démarche. Je trouve ça important ET gratifiant.
Socialement on ne m’arrête toujours pas dans la rue et Squeezie n’a toujours pas fait de selfie avec moi. S’il y a un bémol c’est celui-ci.

Ecrire une fiction seul, tu l’imagines ? Ouais. Tout comme j’imagine qu’à force d’ingérer des produits toxiques je vais tirer des lasers par les yeux. En vrai il y a des discussions chez les Moutons, mais honnêtement tout seul non pas encore. Mais même si j’aime bien écrire (la preuve avec cette interview) je n’ai pas le feu des auteurs. Je n’ai pas besoin d’écrire. Par contre j’ai besoin de faire des images. Donc si un jour je touche à l’écriture, ce sera pour essayer des choses plus que par nécessité.

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Avec Tout au milieu du monde, c’est un premier travail génial dans l’illustration de romans graphiques que l’illustrateur signe.

Meta

  • Ton livre préféré ? Frankenstein.
  • Ton morceau préféré ? L’onglet.
  • Ton film préféré ? InfernoKickboxerSuspiriaWillowConanVampires. Oui, c’est un seul film.
  • Ton auteur préféré ? Beaucoup. J’ai un amour assez horizontal.
  • Ce que tu n’arriveras jamais à lire, même en te forçant ? Le livre de Francis Huster.
  • Un truc inutile dont tu n’arrives pas à te passer ? Mes clopes.
  • Information secrète. Je prends mes douches à poil. Je sais c’est un peu dégueu mais c’est toi qui a demandé.
  • Complète : « Est-ce que j’ai assez de clopes pour [insérer ici n’importe quelle activité excédant la durée d’une heure] ? »
  • Qu’as-tu à dire pour ta défense ? Mesdames et messieurs les soi-disant jurés, j’ai un argument dont vous devriez tenir compte… Membres de ce prétendu jury… voici Chewbacca ! Chewbacca est un wookiee de la planète Kashyyyk et Chewbacca réside sur la planète Endor… Si l’on y réfléchit cela n’a aucun sens, nous sommes d’accord ? Pourquoi un wookiee de deux mètres quarante, une taille imposante, choisit-il de vivre sur Endor en compagnie de tout petits Ewoks ? Ça n’a aucun sens, nous sommes d’accord ! Mais la première question que vous devez vous poser c’est : « Qu’est-ce que ceci a à voir avec cette affaire ? ». Rien du tout ! Mesdames et messieurs ceci n’a rien à voir avec cette affaire ! Ça n’a absolument aucun sens ! Regardez-moi, je suis un graphiste qui se défend tout seul et je viens vous parler de Chewbacca ! Cela a-t-il un sens ? Mesdames et messieurs ce que je vous dis n’a aucun sens ! Rien de tout cela n’a de sens alors demandez-vous lorsque vous serez réunis pour délibérer afin d’établir en votre âme et conscience votre verdict : « TOUT CELA A-T-IL UN SENS ? ». Non ! Mesdames et messieurs les soi-disant jurés ça n’a pas de sens nous sommes d’accord ! Si Chewbacca vit sur Endor vous devez acquitter mon client ! J’en ai terminé. [ndlf : ce à quoi le Faquin rétorquerait, en tant que district atterny, que tout cet argumentaire est faut, puisqu’Endor est en réalité une Lune Forestière, et pas une planète. Si le témoin-accusé peut vous mentir là-dessus, mesdames et messieurs les prétendus jurés, sur quoi d’autre le fait-il certainement, hein, SUR QUOI D’AUTRE ?]

Vil Faquin

Du même auteur : Tout au milieu du monde, Edito Illustration et Edition.

 

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