Le Choix (The Choice)

Le Choix (The Choice)

Paul J. McAuley

 Il est parfois des hasards qu’on ne peut expliquer. Vous me direz, c’est le principe même du hasard, d’être hasardeux, imprévisible et souvent inexplicable. Certes. Mais parmi ces hasards, certains me marquent plus que les autres, peut-être parce qu’ils m’arrivent plus souvent – ou simplement que je me rends compte plus souvent qu’ils m’arrivent, tout n’est parfois qu’une question de point de vue -, qui sait. Ce sont les hasards d’emploi du temps.

Deux exemples se sont produits au mois de mai dernier. Alors que, récemment déménagé sur Dijon, je croisais lors d’un week end sur Lyon un camarade en charge de la programmation d’AOA Production pour les Intergalactiques de Lyon, il me proposait de modérer une table ronde lors de cette édition 2016, le 15 mai. Elle devait s’intituler « Big Brother is adapting you » –> Cinéma et littérature, quand les utopies virent au cauchemar avec Sara Doke, Raphaël Colson, Ginger Force, P.J. McAuley. A cette époque je terminais la lecture du Marteau de Dieu d’Arthur C. Clarke et je fus frappé – OWCH! – de voir à quel point ce petit roman me donnait des pistes précises pour développer un angle d’attaque pour préparer l’intervention.

Et puis, le 15 mai arrivant, la table ronde s’est déroulée sans que je réalise réellement que le petit bouquin, récupéré en librairie quelques jours plus tôt, que j’avais pris pour m’accompagner sur cette journée n’était autre qu’un bouquin de Paul J. McAuley, l’un des intervenants et que plusieurs des thèmes abordés par notre table ronde étaient abordés dans ses lignes.

Des fois, dans ces moments-là, on se dit que la boucle est bouclée et on se prête à sourire à ces coïncidences sans incidence. Et encore, ces sourires-là, ce n’est rien comparé à ceux que vous aurez en finissant le bouquin.

Une Heure Lumière, chez Le Bélial', une collection à l'univers visuel très réussi, signé Aurélien Police.

Une Heure Lumière, chez Le Bélial’, une collection à l’univers visuel très réussi, signé Aurélien Police.

Une Heure Lumière

Le Choix, ou The Choice dans la langue d’Harry Kane, est donc un court roman de l’auteur britannique et a été écrit en 2011. Il s’inscrit dans un micro-cycle littéraire avec Something Coming Through et Into Everywhere, parus tous deux en 2016 en anglais et encore inédits dans la langue d’N’Golo Kanté. Texte court, Le Choix a d’ailleurs remporté en 2012 le prestigieux Prix Sturgeon, en mémoire de Theodore Sturgeon, novéliste américain de science-fiction – un prix à mi-chemin entre le monde universitaire et les magazines et revues de sf mais qui ne sélectionne malheureusement la plupart du temps que des auteurs anglo-saxons.

Paul J. McAuley est écossais et biologiste de formation. Tourné vers la hard science (bio-technologique, notamment, on pense à Féerie), il a été amené à traiter des sujets très variés allant du space opera avec Quatre cent milliards d’étoiles ou encore l’uchronie avec par exemple Les Conjurés de Florence. Mais, hormis le Prix Sturgeon, l’auteur de 61 ans n’a pas chômé ! La Lumière des Astres a reçu en 1992 le Prix Arthur C. Clarke (roman sf avec un impact social), Féerie a été récompensé en 1996 par un autre Prix Arthur C. Clarke et le prix John Wood Campbell Memoral (roman sf), Quatre cent milliards d’étoiles par le Prix Philip K. Dick en 1989 – excellente année, soit dit en passant – (roman sf paru directement en poche), sa nouvelle La Tentation du Dr Stein par le Prix British Fantasy en 1995 (oeuvre fantasy). A noter que pour ce dernier prix, le lauréat repart chez lui avec une statue en ivoire du Cthulhu d’H.P. Lovecraft. Rien que ça.

Tout ça pour vous parler de l’auteur, et vous dire que c’est loin d’être un bourrin de l’année. Il y a de la matière, là derrière. Mais nous y reviendrons.

En attendant, quid du petit ouvrage ? Le Choix a donc été publié en 2016 dans une traduction de Gilles Goulet, qui n’est pas n’importe qui puisqu’en 2010 il a remporté le Prix Jacques Chambon de la Traduction (Grand Prix de l’Imaginaire) pour Vision aveugle de Peter Watts. La couverture est signée Aurélien Police (voir), que nous avions déjà vu à l’oeuvre sur Un Eclat de Givre d’Estelle Faye. Au-delà de la simple couverture, Aurélien Police signe la conception graphique de toute la collection.

Cette collection – et si je commence un nouveau paragraphe pour vous en parler, vous vous doutez bien que ce n’est pas pour rien -, c’est la nouveauté 2016 signée Le Bélial – maison d’édition spécialisée dans les littératures de l’imaginaire (éditeurs de la revue Bifrost). Intitulée Une Heure Lumière, cette collection est arrivée un peu avant le printemps (calendaire, hein, pas réel, puisqu’on ne l’a pas eu) avec quatre titres :

Je laisse la parole au site de l’éditeur pour décrire le projet de la collection :

Une heure-lumière, c’est la distance que parcourt un photon dans le vide en 3600 secondes, soit plus d’un milliard de kilomètres. Une distance supérieure à celle séparant Jupiter du Soleil. Ce qui nous emmène déjà très loin…
Faire voyager loin le lecteur, voilà précisément l’ambition de la nouvelle collection du Bélial’, Une Heure-Lumière.
Une Heure-Lumière, ce sont des romans courts et de facture élégante : assez brefs pour être lus d’une traite, mais riches en sense of wonder, faisant la part belle à une science-fiction ambitieuse, celle du vertige et de l’émerveillement.
Une Heure-Lumière, c’est une collection proposant des textes inédits des meilleurs auteurs français et anglo-saxons : Nancy Kress, Paul J. McAuley, Vernor Vinge, Thomas Day, Greg Egan, Laurent Genefort
Une Heure-Lumière, ce sont aussi des textes récompensés par les prix littéraires les plus prestigieux : Hugo, Nebula, Locus
Une Heure-Lumière, ce seront quatre à six romans par an. Avec les étoiles pour objectif.

Des romans primés donc, qui marquent leur temps dans les littératures anglo-saxonne ou française de science-fiction. Mais des romans courts, comme le dit l’éditeur, à lire d’une traite (ça fonctionne très bien, d’ailleurs). Encore une fois, il est drôle de voir que ce que nous appelons ici, par commodité éditoriale autant que par conviction, j’en suis sûr, roman court est considéré dans d’autres pays comme de la nouvelle (en témoigne le Prix Sturgeon de la nouvelle reçu par Le Choix); des distinctions que nous avions essayé d’aborder ici.

Les invités de la table-ronde sus-citée et un bout de dos de Faquin. De gauche à droite : R. Colson, S. Doke, P.J. McAuley, G. Force.

Les invités de la table ronde sus-citée et un bout de dos de Faquin. De gauche à droite : R. Colson, S. Doke, P.J. McAuley, G. Force.

C’est mon choix

Quoi qu’il en soit, ce roman est court, on n’y pourra rien changer. Quand je dis court, je veux dire trop court. Pourquoi, dès lors, n’ai-je pas directement dit « trop court » ? Parce qu’il faut bien que je remplisse cet article, foutre dieu !

Court, disais-je. 73 pages pour être exact. Ce qui n’est pas long. Hohoho. Bon. Mais cela n’empêche pas l’auteur de développer son histoire au travers de neuf chapitres. McAuley nous invite à suivre les pas d’un jeune homme dans une Angleterre post-cataclysmique – et on ne parle même pas de Brexit. On apprend que ce cataclysme, dont la montée des eaux n’en est que l’élément le plus visible, a épargné certains centres urbains où les populations se rassemblent. Mais le personnage principal, qui vit avec sa mère, fait partie de ces communautés qui ont refusé d’intégrer le monde moderne promis par les lobbies technocratiques qui ont pris le pas. Ils vivent donc dans une campagne inondée et tout le texte s’articule autour de cette omniprésence des eaux. C’est probablement de là que découle le titre : ils ont fait le choix.

On apprend rapidement que des extraterrestres, dont personne n’a jamais rien vu d’autre que leurs gigantesques machines volantes ou flottantes, on passé un accord commercial avec la terre et qu’ils laissent cette dernière tranquille tant qu’ils s’assurent un certain monopole sur ses ressources. La mère de Lucas, le personnage central du jeune homme, est connue pour être une activiste anti-technologiste et anti-aliens, très active sur les réseaux. Bien malade, elle travaille depuis la caravane / bungalow qui leur sert de maison.

Quand un de ses amis, Damian vient annoncer à Lucas qu’un dragon vient de s’échouer non loin ils décident de s’y rendre avec l’aide du catamaran qu’il construit depuis un an. C’est leur voyage jusqu’au dragon (un de ces engins alien extrêmement imposants), ce qu’ils voient sur place et le voyage retour qui nous sont racontés dans Le Choix. Même si tout part avec la saveur d’un début de roman d’apprentissage, on se rend compte très vite que l’univers fouillé, le style de l’auteur nous emmènent ailleurs.

Très vite, l’auteur nous prend par le bras pour nous guider dans un monde dont on ignore presque tout et qui bouleverse nos habitudes – sauf peut-être celles des fanatiques de Waterworld de Kevin Reynolds – avec une écriture simple et efficace, sans fioriture. Paul J. McAuley adopte le ton du conteur. Le ton est empathique, humain, intimiste, tandis qu’il décrit l’hostilité du monde qui se dresse entre la vie actuelle du héros et son accession à la maturité de l’âge adulte. Ce faisant, il aborde des thématiques sérieuses et fait émerger d’un récit en apparence nonchalant une réflexion de fond qui ne lasse pas de surprendre… et de ravir.

En effet, si on s’attendait à des questions peut-être convenues sur le recours systématique à la technologie, aux biotechnologies ou encore à la technologie alien, on ne s’attend pas à ce que l’opposition entre les anti-techno et le monde dans lequel ils vivent en vienne à soulever, en moins de 80 pages, faut-il le rappeler, des interrogations et des questions de société relativement profondes et fouillées. Cela nous rappelle que l’homme est quand même un auteur relativement important, quand le ton du texte pouvait endormir notre méfiance.

Les thèmes abordés sont très proches, bien que sous un autre angle, de ceux que Raphaël Colson avait abordé dans deux éditos sur notre site : Un avenir qui nous échappe & Un avenir retrouvé. Ce n’est pas pour rien que les deux faisaient partie de la même table ronde aux Intergalactiques 2016 ! Bien qu’il soit, contrairement aux éditos de Colson, difficile de savoir réellement comment se situe, par rapport à ces questions, McAuley – bon, c’est un texte de fiction aussi, rien de plus normal que les pistes soient brouillées -, il n’en reste pas moins que le matériau est là et que le ciment prend.

Un auteur gentil dont les mots de remerciements tachent encore mon exemplaire du choix. #fierté

Un auteur gentil dont les mots de remerciements tachent encore mon exemplaire du choix. #fierté

Bar-tabac

Au final, Le Choix n’est pas un chef-d’oeuvre en soi. Il reste cependant un ouvrage remarquable par les nuances qu’il apporte entre son style, sa profondeur et son genre. Paul J. McAuley livre un texte intelligent qui mérite d’être lu.

Pour une première approche de la collection Une Heure Lumière, on ne pouvait, j’imagine, rêver d’un meilleur départ et j’espère qu’à l’avenir cette collection prometteuse continuera à nous sortir des indispensables des littératures de l’imaginaire, de façon régulière, afin de devenir, comme on est en droit de le prédire, une collection-anthologie référence de celles-ci dans la francophonie.

Dans tous les cas, je m’en vais me procurer les trois autres volumes.

Vil Faquin

A lire : Un avenir qui nous échappe & Un avenir retrouvé.

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